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(de 10 à 14 francs, selon les qualités) : on pourrait le diminuer par divers moyens, et notamment en abaissant le coût du transport par des tarifs d’exportation à prix réduits ; cependant, même dans les conditions actuelles, on peut tenter d’expédier des charbons français comme lest vers les ports suffisamment éloignés. M. de Ruolz établit, par exemple, qu’en 1866 il est sorti de Dunkerque sur lest, en destination de la Russie, de la Suède, de la Norvège, etc., 210 navires jaugeant 42,000 tonneaux. Une grande partie de ces navires repartent sur lest après avoir apporté à Dunkerque des bois du Nord ; beaucoup d’entre eux se rendent à Newcastle ou à Sunderland, où ils prennent des charbons de qualité inférieure, qu’ils trouvent à vendre couramment en rentrant dans leurs ports d’attache. Pourquoi ces navires n’embarquent-ils pas des charbons français ? C’est que, malgré les frais de lestage, les droits de port de la Tyne, la perte de temps et d’argent qui résulte du détour, le crochet par Newcastle leur procure encore sur le fret un bénéfice de 3 ou 4 francs par tonne, à cause du bas prix des charbons anglais. Mais le détour par Newcastle n’est possible que par les vents d’est ou de nord-est, qui sont loin d’être les plus fréquens dans ces parages : quand les vents soufflent d’aval (du nord au sud en passant par l’ouest), les navires auraient tout intérêt à charger des houilles françaises. Un navire de 200 tonneaux, par exemple, réaliserait ainsi un fret de 1,500 francs, au lieu de payer 120 francs pour un lest improductif qu’il met deux jours à embarquer. Un calcul analogue peut se faire pour les navires qui partent sur lest en destination de l’Espagne et du Portugal, de l’Amérique du Sud, de la Cochinchine, etc. Un navire de 300 tonneaux qui part de Dunkerque pour Rio, par exemple, gagnerait, s’il prenait de la houille, 5,700 francs, tout en se contentant d’un fret de 19 francs par tonne, bénéfice qui lui permettrait de lutter à prix égal avec les navires anglais pour son voyage de retour. En partant léger au contraire, il subit d’abord une perte de 240 francs que lui coûtent le lestage au départ et le délestage à l’arrivée, sans compter les frais résultant de quarante-huit heures de planche ; ensuite, comme il n’a rien gagné à l’aller, il est obligé de se rattraper sur le fret de retour, ce qui fait qu’il ne trouve chargement qu’à défaut des navires anglais, et qu’il a beaucoup de mal à compléter sa cargaison.

En résumé, M. de Ruolz pense qu’au lieu de 7,000 tonnes de charbon que Dunkerque exportait en 1867, ce port pourrait aisément arriver à en exporter 200,000, que fourniraient les houillères du Nord et du Pas-de-Calais (3 pour 100 de leur production). C’est surtout au moyen des agglomérés que la lutte pourrait être tentée contre les charbons anglais, et c’est ce qu’a compris la compagnie d’Anzin, qui ne néglige rien pour développer la fabrication de