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l’exportation française, si elle avait été plus forte, eût pu lutter dans des conditions de succès inespérées contre les charbons anglais dans la Baltique, la Méditerranée, la Mer-Noire, etc., grâce à l’écart qui existait alors entre les prix en faveur de nos houilles. Ainsi, à un certain moment, une tonne de gros charbon pour vapeur de Cardiff coûtait à Alexandrie 54 francs, tandis que le gros charbon qualité supérieure du Gard aurait pu être livré sur le même marché au prix de 45 francs. Malheureusement notre production n’était pas au niveau nécessaire pour profiter de cette conjoncture. Mais l’occasion peut revenir, et il faut nous hâter de nous mettre en mesure d’en tirer parti.

L’exportation houillère, en dehors des services qu’elle rendra en stimulant la production des mines, viendra puissamment en aide à la marine, au commerce extérieur et à l’industrie, dont elle permettra de transporter les produits à bas prix sur divers marchés de l’étranger. L’un des grands obstacles qui empêchent notre marine marchande de soutenir la concurrence anglaise, c’est précisément la rareté du fret de sortie, car, à part ses fers, ses vins et ses céréales, la France n’expédie guère que des produits manufacturés, marchandises légères pour la plupart. Les Anglais ont la houille : chargés de combustible, leurs navires vont au loin chercher du fret de retour. C’est ainsi qu’ils arrivent sur divers points de la Méditerranée et y prennent des marchandises qu’ils amènent dans nos ports, même à Marseille, à des prix auxquels les nôtres ne peuvent descendre, forcés qu’ils sont de compenser par le fret de retour l’absence du fret d’aller. Le navire anglais est certain de trouver à Newcastle ou à Cardiff du fret pour l’Inde à 40 ou 50 francs la tonne, et peut dès lors se contenter au retour d’un fret de 60 ou 70 francs, tandis que le navire français, parti sur lest, est forcé, pour couvrir les dépenses, d’élever le fret de retour à 100 ou 110 francs. « Aidés par l’exportation des houilles françaises, dit M. de Ruolz, nos navires pourraient porter du charbon à Alexandrie, à Beyrouth, à Constantinople, à Odessa, à Trébizonde, et prendre en retour les cotons d’Égypte, les sésames et les laines de Syrie, les huiles de Turquie et les blés de Crimée, à un fret qui serait insuffisant pour la marine anglaise. » Enfin l’exportation houillère acclimaterait sur les marchés de la Méditerranée et de la Mer-Noire les soieries de Lyon, les cotonnades de Rouen et de Mulhouse, les articles de fantaisie, etc., qui pourraient, à la faveur d’un prix de transport inférieur, disputer ces marchés aux produits britanniques[1].

Il ne faut pas s’étonner que la houille française, qui ne peut

  1. Il est vrai que cette année, en Angleterre, les frets pour la Méditerranée sont très bas.