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besoins de l’industrie nationale, et que l’exportation viendra à son heure quand nous aurons d’abord réussi à chasser la houille anglaise de nos marchés pour la remplacer par des produits indigènes. C’est là un raisonnement qu’on entend faire très souvent ; mais ceux qui le font méconnaissent les principes mêmes sur lesquels repose le mouvement des échanges. Ils oublient que la valeur ou l’utilité d’un objet dépend du lieu où il se trouve, et que les frais de transport font toujours partie intégrante du prix.

Au premier abord en effet ces termes d’exportation et d’importation, appliqués aux mêmes objets, semblent s’exclure et se contredire. Il paraît singulier de vouloir pousser la France dans la voie de l’exportation lorsqu’elle est loin de suffire à sa propre consommation, et qu’elle est obligée de demander à l’étranger le tiers des 23 millions de tonnes de charbon nécessaires à ses besoins actuels. « On n’exporte, répètent les bonnes gens, que ce qu’on a de trop. » Sans doute ; cela est vrai généralement parlant ; mais l’on suppose toujours qu’il s’agit de produits qui sont consommés sur place, ou pour lesquels les prix des transports à l’intérieur ne représentent qu’une faible fraction du prix de vente. Ceux-là, on les réservera de préférence à la consommation indigène. La même règle ne s’applique pas aussi simplement aux produits qui doivent faire un chemin plus ou moins long et qui n’ont pas assez de valeur pour supporter des frais de transport élevés. La question des frais de transport a évidemment une tout autre signification pour la houille, qui vaut 12 ou 15 francs la tonne sur le carreau de la mine, que pour le blé, qui vaut 300 francs la tonne de 10 quintaux. Un trajet de 300 kilomètres double déjà le prix du charbon. Il en résulte que pour la France du Nord les gisemens du Midi sont comme s’ils n’existaient pas : elle ne pourrait profiter de l’excédant de leur production. Voilà pourquoi, tandis que nos bassins du Sud produisent plus que ne consomme l’industrie du Midi, le reste de la France n’a pas assez de charbon, et se voit obligé d’en demander à nos voisins.

En Angleterre, où les centres manufacturiers se groupent autour des bassins houillers, l’industrie nationale trouve dans les mines du pays de quoi satisfaire à tous ses besoins : elle consomme 110 millions de tonnes sur les 125 millions que le royaume-uni produit maintenant chaque année, on exporte le surplus, et l’importation est nulle. Pour nous, la situation n’est plus la même. Nos bassins carbonifères, étant éparpillés sur toute l’étendue du territoire, se trouvent presque tous plus ou moins éloignés de leurs marchés, et le prix du transport à l’intérieur entre souvent pour moitié dans le prix du charbon. Il s’ensuit que certaines régions de la France sont, par la nature des choses, tributaires des mines de