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sembleraient trahir le souvenir ému d’un danger personnel ; il a mieux à faire. Il montre à Ivan IV, à ce roi fortuné qui après trente années de règne n’a pas cessé un instant de voir s’agrandir son empire, de nouvelles conquêtes à entreprendre, de nouveaux peuples à recueillir ou à subjuguer. Le roi de Géorgie ne se fie qu’à demi à la protection du monarque persan. Il a fait suivre secrètement l’agent d’Elisabeth à Shamaki. Un Arménien se présente en son nom ; le roi lui a fait part de ses peines. « Il se trouve enfermé entré deux cruels tyrans, le Grand-Turc et le sophi. Il supplié Jenkinson par l’amour du Christ, puisque lui aussi est chrétien, de lui envoyer par cet Arménien quelques consolations, de lui faire savoir comment il pourrait s’aboucher avec l’empereur de Russie. L’empereur consentirait-il à le soutenir ? Que Jenkinson expose à l’empereur sa situation. Le roi lui aurait écrit lui-même, s’il n’eût craint que son messager ne fût arrêté en route. » Jenkinson n’a pas hésité à se porter garant des dispositions du tsar. Peut-on douter qu’Ivan Vasilévitch ne s’empresse de venir en aide à un roi chrétien ? Le roi de Géorgie ne sait par quel chemin faire passer en Russie son émissaire. Qu’il le dirige par le pays des Circassiens ! Le prince de ce pays, dont Ivan IV a épousé la fille, favorisera certainement une démarche qui ne saurait être qu’agréable à son gendre. »

Deux jours après, Jenkinson envoie un des employés de la compagnie, Edouard Clerk, de Shamaki au plus grand marché de soie de toute la Perse, à Arash. D’Arash, Clerk trouvera facilement le moyen de gagner la Géorgie, s’il sait se glisser dans quelque caravane de marchands arméniens. Clerk part, mais il est reconnu en route et doit se tenir pour heureux de pouvoir revenir, sans être molesté, sur ses pas. Est-ce tout ? Non ! Jenkinson a encore une plus sérieuse ouverture à faire au tsar. Le roi d’Hircanie lui-même paraît bien chancelant dans sa fidélité. Il ne s’est pas contenté de faire à Jenkinson cadeau de deux vêtemens de soie et de le congédier avec la plus grande faveur, « il lui a confié maint secret pour qu’il en fît part de vive voix à l’empereur de Russie. » La Perse est un grand pays, divisé en plusieurs royaumes. Elle touche par le sud à l’Arabie et à l’Océan-Oriental, par le nord à la Tartarie et à la mer Caspienne, par l’est aux provinces de l’Inde, par l’ouest à la Chaldée, à la Syrie et aux autres pays des Turcs. Son immense étendue ne peut que favoriser l’invasion. Les Persans, il est vrai, sont fiers et courageux ; ils s’estiment la première nation du monde, mais leur prince, âgé de cinquante ans, paraît peu à craindre. Effrayé des progrès du Grand-Turc, il se fie plus à ses montagnes qu’à ses cités et à ses châteaux. Il a fait raser ses forteresses, fondre son artillerie, afin que l’ennemi ne trouvât pas à s’établir sur son territoire. Shah-Tamasp est de taille moyenne et a cinq enfans. Il