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pas de juger le jeu périlleux. Toutes les relations entre la Russie et la Perse vont être, par ce procédé brutal, violemment interrompues. L’alliance de Soliman II n’est pas tellement solide qu’on ne puisse avoir quelque jour besoin des secours d’Ivan Vasilévitch. Jenkinson a été l’hôte d’Obdolokan ; c’est sur la foi du prince, sous l’escorte de ses soldats, que ce Franc a poursuivi son chemin vers Casbin. S’il lui arrive malheur, le tsar ne s’en prendra peut-être pas à la Perse ; il s’en prendra certainement à l’Hircanie. Le sophi, au dire de Jenkinson, faisait très grand cas du roi des Hircaniens. Au mérite d’être le plus vaillant de ses princes feudataires, Obdolokan joignait le mérite, non moins grand à ses yeux, d’être son parent. Shah-Tamasp pesa donc mûrement les observations qu’Obdolokan lui fit soumettre par son fils Shali-Moursi. Le résultat de ces réflexions aboutit enfin au parti le plus honnête à la fois et le plus prudent. Le 20 mars 1563, après quatre mois d’inquiétudes et d’angoisses, Jenkinson reçut un riche vêtement de draps d’or et fut congédié, « sans qu’on lui eût fait aucun mal. » Le 30 mars, il arrivait à la ville d’Ardébil, le 15 avril à Djavat, où le roi Obdolokan avait pour le moment fixé sa résidence ; le 21, il se retrouvait au bord de la mer. Sa barque était prête ; il y fit sur-le-champ charger ses marchandises, — car il ne revenait pas de Perse les mains vides, — et il n’attendit plus pour se mettre en route qu’un bon vent. La traversée d’Abcharon, à l’entrée du Volga, ne fut pas plus exempte d’épreuves et de vicissitudes que ne l’avait été, deux ans auparavant, le trajet de Manguslav à la bouche orientale de ce fleuve. La barque n’était pas moins chétive ; le ciel se montra tout aussi capricieux. L’habileté nautique de Jenkinson triompha des difficultés de ce second retour, comme elle avait déjà eu raison des contre-temps du premier voyage. Le 30 mai, le port d’Astrakan s’ouvrait de nouveau à la voile anglaise ; le 10 juin, Anthony refoulait le courant du Volga sous l’escorte de 100 mousquetaires ; le 15 juillet, il touchait à Kazan ; le 20 août 1563, à Moscou.

Ivan Vasilévitch avait bien employé le temps que Jenkinson venait de passer en Perse et sur la mer Caspienne. Le victorieux tsar était maître de Polotzk, une trêve tenait en suspens les armes de la Pologne, et les succès du fils inconstant de Gustave Vasa, de ce roi devenu par son ambition le plus utile et le plus inattendu des alliés d’Ivan IV, semblaient garantir à la Russie que cette trêve, acceptée à regret par Sigismond-Auguste, serait de quelque durée. Jenkinson arrive à propos. Que va-t-il annoncer au tsar ? Que l’on fait en Perse peu de cas des recommandations des souverains chrétiens ; que l’envoyé d’Elisabeth, le protégé d’Ivan Vasilévitch a failli prendre le chemin du Bosphore, adressé pieds et poings liés au Grand-Turc. Jenkinson n’est pas homme à insister sur des détails qui