Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/894

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que l’on pût se flatter de trouver en défaut. L’envoyé du sultan ne tarda pas à être au courant des desseins éventés par l’adroite astuce du roi d’Hircanie. Il prit sur-le-champ ses mesures pour les faire avorter. « La guerre, ne peut s’empêcher de remarquer avec quelque mélancolie Jenkinson, eût beaucoup avancé mes affaires. Les choses, pour notre malheur, tournèrent autrement. » Une amitié cimentée par le sang d’un fils et d’un hôte pouvait-elle en effet, tant que Shah-Tamasp et Soliman vivraient, songer à se démentir ? Le 20 novembre 1562, Jenkinson est tout à coup mandé chez le sophi. Il s’y rend vers trois heures du soir. Arrivé à la porte du palais, les serviteurs du sophi ne lui laissent pas le temps de descendre de cheval. Avant même qu’il ait touché terre, ils lui ont mis aux pieds une paire des propres souliers de leur maître, de ces sortes de pantoufles qu’on appelle en persan des basmaks et que le souverain porte, quand il se lève la nuit, suivant sa coutume, pour prier. Les Persans n’auraient pas voulu laisser un giaour appuyer ses chaussures immondes sur le parvis sacré. « Singulières gens ! fait observer avec indignation Jenkinson, qu’on voit estimer infidèles et païens tous ceux qui refusent de croire à la sainteté de leurs sales et faux prophètes. » Le calme habituel du grand voyageur en ce moment l’abandonne. Pardonnons-lui, car, en vérité, une cruelle déception l’attend. Pas un seul de ses compagnons ou de ses serviteurs n’est admis à pénétrer dans la cour où il vient de chausser les royales babouches. Les Persans ne font d’exception que pour son interprète. Les présens qu’il apporte ont été partagés en un certain nombre de lots. Chaque lot est confié à un serviteur persan. Toutes ces précautions injurieuses ne présagent rien de bon. Jenkinson, impatient, est enfin introduit devant sa majesté. Il s’avance « avec le respect qu’il juge, nous apprend-il, nécessaire de montrer, » puis il remet à la fois les lettres de la reine et le présent de la compagnie : le sophi les reçoit. « De quel pays des Francs arrive cet étranger ? quelles sont les affaires qui l’amènent en Perse ? » Jenkinson répond qu’il vient de la fameuse cité de Londres, capitale du noble royaume d’Angleterre. Il a été envoyé en Perse par sa très excellente et très gracieuse souveraine, Madame Elisabeth, reine dudit royaume. Il vient pour établir une amitié sincère entre les deux états, pour obtenir un libre passage en faveur des marchands anglais, afin qu’ils puissent apporter en Perse leurs produits, en exporter les produits persans, le tout à l’honneur des deux princes, à l’avantage de l’un et de l’autre royaume, au bénéfice des sujets de la reine et des sujets du sophi. « En quelle langue sont écrites les lettres qui vous ont été confiées ? demande Shah-Tamasp. — Elles sont écrites en latin, en italien et en hébreu. — C’est très bien, dit le prince. Nous n’avons personne dans notre royaume qui comprenne une seule de