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Peu s’en est fallu que Sélim Ier ne fît de Shah-lsmaël, de ce souverain resté si dévot à la mémoire d’Ali, un autre martyr. Sélim a envahi en 1514 l’Aderbidjan, et son artillerie, plus formidable encore que ses janissaires, a eu bientôt fait de disperser les armées persanes. Les victoires de Sélim ont brisé le cœur du sophi. Jenkinson a donc tout sujet d’espérer que Shah-Tamasp réserve un favorable accueil aux lettres du monarque qui, voisin comme lui, et comme lui ennemi naturel du Grand-Turc, pourrait si aisément l’aider à venger des injures accumulées depuis un demi-siècle.

L’ancien capitaine du Primerose n’est pas seulement parti de Londres et de Moscou pour faire la conquête du précieux privilège qu’Ivan IV et Elisabeth réclament de concert en faveur de la compagnie moscovite ; il s’est également proposé de jalonner la route qu’auront à suivre un jour les caravanes en marche sur Ormuz. Les profits et pertes ne peuvent se calculer que sur une connaissance bien exacte des distances. Aussi Jenkinson a-t-il sans cesse recours à son astrolabe. « Ardébil, nous dit-il, est située par 38 degrés de latitude[1]. C’est une ancienne ville de la province d’Aderavgan[2], où les princes de Perse sont généralement enterrés. Alexandre le Grand y avait établi sa cour quand il envahit la Perse. A quatre journées de marche, vers l’ouest, se trouve la ville de Tabris, appelée dans l’antiquité Tauris, — la plus grande ville des états du sophi. Le commerce de Tabris n’est plus cependant ce qu’il était jadis ; il est même inférieur à celui d’autres villes persanes. » La déchéance de Tabris est encore un des tristes effets de l’invasion ottomane. Soliman le Grand n’a pas démenti le sang dont il sort. De 1523 à 1536, il a pris aux Persans Tabris, Bagdad et une partie de la Géorgie. Tabris a été mise à sac en 1532 et, depuis cette époque, le sophi a dû l’abandonner. Il a établi sa cour, à dix journées de marche de cette cité ruinée, dans la ville de Casbin. C’est vers Casbin que Jenkinson, continuant de descendre au sud, faisant à peu de chose près route au sud 35 degrés est, achemine en quittant Ardébil ses chameaux. A Casbin, il sera, si nous nous en rapportons à nos notions modernes, à 80 milles marins de Téhéran, à 240 d’Ispahan, à 660 d’Ormuz.

Le voyage d’Abcharon à Casbin est autrement facile que celui de Manguslav à Boghar. Il n’aura demandé en tout que vingt-sept jours de marche. Le 2 novembre 1562, la caravane anglaise s’arrête dans la ville où le grand-sophi tient sa cour. On lui assigne sur-le-champ un logement non loin du palais du roi. Deux jours se passent à peine, Shah-Tamasp ordonne au fils d’Obdolokan, au prince Shali-Moursi, de faire appeler et d’interroger Jenkinson. Au

  1. En réalité par 38° 20’.
  2. Aderavgan ou Aderbidjan, c’est toujours la province dont Tabris est la capitale.