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prêt à partir avec deux autres navires pour. la Mer-Blanche. Jenkinson fît embarquer sur le Swallow 400 pièces de kersies, formant 80 ballots. Tel était le chargement qu’il se proposait d’importer en Perse. L’escadre quitta Gravesend le 14 mai 1561 ; le 14 juillet, elle mouillait dans la baie de Saint-Nicolas. Les vaisseaux de la compagnie venaient d’accomplir leur huitième voyage.

Jenkinson avait été particulièrement chargé d’inspecter les magasins de la compagnie. Pareil contrôle n’était pas, à cette grande distance de Londres, superflu. Le capitaine du Swallow ne s’arrêta cependant que douze jours à Kholmogory et quatre jours à Vologda. Le 20 août, il faisait son entrée à Moscou. Quelque hâte qu’on y mît, on ne pouvait guère se flatter de passer en moins de trois mois d’une capitale à l’autre. L’empereur fut informé sur-le-champ de l’arrivée de ce marchand anglais qui lui revenait accrédité par une nouvelle reine ; mais aucun étranger, ambassadeur ou autre, ne devait à cette heure être admis au Kremlin. Ivan était alors tout entier aux préparatifs de l’union qu’il se disposait à contracter avec une Circassienne musulmane. Veuf de la tsarine Anastasie, il avait vu l’offre de sa main repoussée par la sœur du roi de Pologne. Ne pouvant faire un mariage politique, le tsar prit le parti de ne consulter que ses inclinations et son goût : ses regards s’arrêtèrent sur la fille d’un prince tcherkesse dont la beauté eût séduit Assuérus. La tsarine Marie ne pouvait recevoir la couronne sans recevoir en même temps le baptême. Elle n’en eut pas moins des noces inquiètes et troublées. Pendant les trois jours que durèrent les fêtes de son mariage, les portes de la ville demeurèrent rigoureusement fermées et, à l’exception des seigneurs auxquels fat assignée une place dans le cortège, personne ne fut autorisé à circuler dans les rues. Craignait-on quelque sédition ? Ne faisait-on que se conformer au cérémonial habituel ? Jenkinson essaya vainement de se renseigner sur ce point. En tout cas, le 1er septembre 1561, les inquiétudes, s’il en exista, devaient avoir cessé, car l’empereur donna ce jour-là une grande fête à laquelle furent conviés les ambassadeurs et les étrangers de distinction, Jenkinson se trouvait être au nombre des invités. Le secrétaire du tsar, avant l’heure du repas, le fît appeler au palais impérial : « Je désire, lui dit-il, prendre connaissance des lettres que vous apportez. » Jenkinson n’était plus « le petit Junkine » d’autrefois. Mandataire de la compagnie, il se fût sans difficulté soumis à une exigence qu’avaient avant lui subie Chancelor et Killingworth ; représentant de sa royale maîtresse, il refusa net. Les lettres d’Elisabeth ne pouvaient être remises qu’en mains propres à Ivan IV. Le secrétaire en jugeait autrement : « Si Jenkinson s’obstinait dans son refus, il devait renoncer à