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Primerose, qu’il traverse les déserts ou les océans, nous retrouvons toujours le marin du XVIe siècle. Faire son point et prendre ses alignemens le préoccupe presque autant que la vente à bon prix de ses draps. Assaillie par une seconde tempête et poussée, malgré tous les efforts de son équipage, au large, la barque à qui Jenkinson vient de rendre si merveilleusement son ancre n’aurait-elle donc échappé au naufrage que pour aller donner sur la côte de Perse ? C’était là ce que redoutaient le plus les ambassadeurs tartares, car les Persans ont, de tout temps, été les mortels ennemis des Turcomans. Le vent de nord-est soufflait avec violence ; la mer, fouettée par la bise furieuse, menaçait à chaque instant d’engloutir le bateau. Quand le ciel s’éclaircit, le danger d’attérir en Perse au lieu d’attérir, comme on le voulait, en Russie, ne se trouva pas soudainement conjuré ; personne n’eût osé dire de quel côté il fallait mettre le cap pour gagner Astrakan. Jenkinson prit son astrolabe, et observa soigneusement la distance du soleil au zénith. Quand il eut achevé son calcul, on le vit brusquement changer de route ; quelques heures après, la barque mouillait à l’embouchure du Jaïc. Les Tartares étaient dans l’ivresse ; jamais leur imagination n’avait rien rêvé de semblable. Jenkinson avait arboré sur son bateau la croix rouge de saint Georges « en l’honneur de la chrétienté ; » cette croix, pour les envoyés des sultans de Balkh, de Boukhara, d’Ourgendj, de Sellizuri, devenait un talisman contre les tempêtes. Le 28 mai 1559, les voyageurs entraient dans le Volga ; leur traversée n’avait pas duré vingt-cinq jours.

Le gouverneur d’Astrakan prit sur le champ ses dispositions pour faire escorter à Moscou les ambassadeurs qui venaient de si loin apporter les hommages de leurs sultans à son maître. Pendant ce temps, Jenkinson s’occupait de transborder, dans de petites barques, la charge du grand bateau, trop lourd et trop mal équipé pour que l’on pût songer à lui faire remonter le courant du Volga. Il fallut également se procurer un certain nombre de strougs pour y embarquer les cent strelitz dont le capitaine russe composa la troupe d’escorte. Tout ce convoi ne fut réuni que le 10 juin ; le 28 juillet il atteignait Kazan. Six semaines avaient donc été employées au trajet qui n’avait demandé à la descente que trente et un jours. Les marchandises ne pouvaient continuer d’arrêter par les difficultés de leur transport des voyageurs que le tsar attendait avec impatience ; on prit le parti de les débarquer à Mourom et de les acheminer de ce point par la voie de terre à Moscou.

Le 2 septembre 1559 vit enfin le terme de cette longue et périlleuse entreprise. En rentrant à Moscou, Jenkinson ne se retrouva pas sans une satisfaction secrète sous le sceptre rigoureux dont les bords de l’Oxus lui avaient plus d’une fois fait regretter la force et