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restitua une partie des marchandises que j’avais été contraint de livrer, et, je le répète, ce fut au roi que je dus cette justice. »

Il y avait alors chaque année grande affluence de marchands à Boukhara. Il en venait de l’Inde, de la Perse, de Balkh, de la Russie ; mais ces caravanes apportaient si peu de marchandises, mettant d’ailleurs deux ou trois années à les vendre, qu’on ne pouvait voir là les élémens d’un commerce sérieux. Les pierres précieuses, les épices prenaient la route de l’Océan. Les Portugais, dit-on à Jenkinson, étaient maîtres des pays d’où on les tirait autrefois.

Ce qui empêchait la caravane du Cathay d’arriver à Boghar, c’était la grande guerre qui durait depuis trois ans entre quelques tribus nomades et les dieux principautés tartares de Tachkend et de Kashgar. Quand les routes étaient libres, le voyage du Cathay à Boghar demandait neuf mois. Le Cathay était cité comme un pays très civilisé et excessivement riche, tempéré, abondant en fruits de toute sorte. Au-delà se trouvait la contrée que les Tartares appelaient dans leur langue Kara-Kolmack, le pays des Kalmouks noirs. Au Cathay même, dont la majeure partie s’étend vers l’Orient, le peuple est blanc et a le teint clair. La religion est le christianisme ou s’en rapproche beaucoup. La langue diffère complètement du tartare. Il n’y a pas d’ours furieux sur la route, mais des loups blancs ou noirs et surtout un nombre infini de brigands. Tous les passages sont infestés. Aucune caravane ne pourrait s’y engager sans courir le risque d’être dépouillée. Voilà pourquoi ou ne trouvait plus à se procurer, comme autrefois, à Boghar du musc, de la rhubarbe, des satins, des damas. Il fallait se contenter des mousselines ; venues des bords du Gange, des étoffes de laine et des soieries apportées par les Persans. Quant à faire accepter en paiement des draps anglais, on ne devait pas y songer. Les Persans auraient pris des peaux rouges et autres marchandises russes, de ; esclaves de tous les pays. Pour des draps, ils en apportaient eux-mêmes à Boghar ; on les leur expédiait des ports turcs de la Méditerranée et d’Alep.

Jenkinson s’était décidé à séjourner pendant tout l’hiver à Boghar. L’hiver passé, le moment du départ des caravanes arrive. Le métropolitain engage très vivement les Anglais à en profiter. Il voudrait voir ces marchands infidèles regagner au plus vite la mer de Bakou, « Le roi, leur, dit-il, est à la guerre et le bruit court qu’il a été battu ; la ville ne peut manquer d’être assiégée bientôt. » Jenkinson, à regret, se résigne à reprendre la route qu’il a déjà parcourue. Le sultan de Boghar a eu soin heureusement de la nettoyer. La caravane se compose cette fois de 600 chameaux. Elle quitte Boukhara le 8 mars 1559. Que serait-il advenu de Jenkinson, s’il eût seulement retardé son départ de dix jours ? Le roi de