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marchands se trahissaient entre eux, il n’y aurait plus de sûreté pour les caravanes. La première loi, la loi qui domine toutes les autres au désert, c’est la foi mutuelle que se doivent les compagnons d’une même troupe. Rien ne put ébranler la fermeté du vaillant hadji ; non-seulement il refusa de confesser qu’il y eût dans la caravane des chrétiens, mais il ne voulut pas même déclarer le nombre de victimes qu’avait faites dans la troupe le combat de la veille. Quand le jour parut, on se préparait à recommencer la lutte. Ce furent les brigands, découragés par une résistance aussi opiniâtre, qui demandèrent de nouveau à entrer en composition ; ils exigeaient beaucoup, ils promettaient en retour un sauf-conduit. La majeure partie de la caravane fut d’avis de les satisfaire ; on leur accorda la dîme qu’ils demandaient et de plus un chameau pour emporter leur butin. Une fois payés, les bandits s’enfoncèrent dans le désert, leur habituelle demeure, et les voyageurs s’empressèrent de gagner les bords de l’Amou-Daria. Il y avait trois jours qu’ils n’avaient pu se procurer une goutte d’eau.

Pour se dédommager de cette longue privation, ils restèrent toute la journée au bivouac, faisant bonne chère avec les chevaux et les chameaux qu’on leur avait tués. La rencontre des brigands leur rendait suspects les sentiers battus. Ils se décidèrent à quitter la grande route qui suit la rive du fleuve et coupèrent sur Boghar à travers la plaine. Là du moins, pensaient-ils, aucun chef banni ne viendrait les chercher. Pendant quatre jours, ils voyagèrent dans le désert de sable sans trouver un seul puits. Celui qu’ils rencontrèrent au bout de cette longue marche n’avait à leur offrir qu’un liquide boueux dont l’excessive salure fit reculer leur soif ; mais les sultans, non moins que les bandits, avaient sensiblement allégé le poids des nombreux ballots emportés par la caravane. Pourquoi garder des bêtes de somme devenues inutiles ? On tua les chevaux et les chameaux qui n’avaient plus de chargement à porter et l’on put, grâce à ce sacrifice, s’abreuver largement ; le sang de cheval est une boisson familière à tout vrai Tartare. La précaution d’ailleurs que les voyageurs avaient cru devoir prendre de s’éloigner de la voie ordinaire ne leur réussis qu’à moitié. Elle les préserva d’une seconde attaque en règle, elle ne leur épargna pas les surprises des rôdeurs. N’est-ce pas une honte pour le khan de Khiva qu’il y ait si peu de sécurité, une police si mal faite presqu’aux portes de sa capitale ? Le 20 décembre, la caravane repose, le ciel est sans étoiles, le désert sans clartés : on entend tout à coup, en dehors du camp, le ferait d’une lutte, une clameur confuse, des cris désespérés. Quelques hommes ont commis l’imprudence de se séparer du gros de la troupe ; les voleurs les enlèvent. Grand tumulte, grand effroi, on le devine sans peine, dans les rangs des marchands