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il accompagna la remise de la lettre d’Ivan IV acheva de lui gagner la faveur d’Azim. La viande de cheval et le lait de jument, les fruits savoureux de la plaine, furent pendant sept jours prodigués par le prince à son hôte. Ourgendj n’est qu’à deux journées de marche de Sellizuri. Le 16 octobre, Jenkinson entre dans cette ville, qu’Ali-khan, frère d’Azim, vient de conquérir sur les Persans. Ourgendj possède ce qui manque à Sellizuri ; elle a une enceinte. Ses remparts de terre, d’une étendue de 4 milles environ, ne l’ont pas empêchée cependant d’être prise quatre fois dans l’espace de sept ans. Une longue rue couverte la traverse ; cette rue, c’est le bazar d’Ourgendj. Si la ville a sauvé son marché de la destruction, il lui reste en revanche bien peu de marchands ; ceux qui ne l’ont pas abandonnée encore sont si pauvres, que Jenkinson ne parvient qu’à grand’peine à leur vendre quatre pièces de son drap le plus grossier. Tout le pays qui s’étend entre la mer Caspienne et Ourgendj s’appelle le pays des Turcomans. Il est soumis à un roi. Malheureusement ce roi est peu obéi. C’est surtout dans sa famille que le khan des Turcomans trouve des rebelles. Quel amour mutuel pourrait exister entre les fils de différentes femmes, fils d’esclaves la plupart du temps, dont des unes sont chrétiennes et les autres musulmanes ? Les frères dans cet état se font donc constamment La guerre. Le vaincu, s’il échappe à la mort, s’enfonce dans le désert avec les compagnons qui consentent à le suivre. Là, il cherche quelque lieu où ait été jadis creusé un puits. De ce repaire, il guette les caravanes, les attaque, les met à rançon, les dépouille. Quand le butin l’a suffisamment enrichi, il rassemble une armée et se met en devoir d’assaillir les états de son frère.

Du château de Sellizuri à la mer Caspienne, si l’on se porte au nord du chemin suivi par les caravanes, la solitude devient moins complète, le désert a des habitans. Nulle part, il est vrai, on n’y rencontre les gras pâturages de la terre des Nogaïs ou de la Tauride, mais, à défaut d’herbe, une espèce de bruyère couvre la plaine de son âpre et court gazon. Cette plante vivace suffit à nourrir les immenses troupeaux de chevaux, de chameaux, de moutons, que les tribus errantes promènent d’un endroit à l’autre. C’est parmi ces tribus que les princes rivaux viennent recruter leurs troupes. Ils trouvent le Turcoman toujours prêt à entrer en campagne. Jamais Tartare ne monterait à cheval sans emporter ses flèches, son arc et son sabre, alors même qu’il ne partirait que pour la chasse au faucon. Ces nomades sont tous de bons archers et de grands bandits ; ils n’ont ni science ni art, ne sèment ni ne labourent. Gloutons et paresseux, ils mangent à pleines mains leur viande de cheval coupée en petits morceaux, s’enivrant ensuite à loisir de leur lait de jument fermenté. Le temps qu’ils ne passent pas à la chasse