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possesseur, suivant eux, de tout le pays de Manguslav. Leur premier soin est d’ouvrir les ballots, et de prélever sur les divers objets que ces ballots renferment, le tribut auquel leur prince prétend avoir droit. Jenkinson perdait à ce procédé sommaire une valeur d’au moins 15 roubles russes. Il voulut aller porter plainte en personne au sultan : il trouva ce tyran redouté du désert assis dans une petite cabane toute ronde, cabane de roseaux recouverts en dehors de feutre, en dedans de tapis ; à ses côtés se tenait « le grand métropolitain, » chef religieux aussi vénéré sur la terre de Manguslav que peut l’être l’évêque de Rome dans la plupart des états de l’Europe. Jenkinson répond de son mieux à toutes les questions qui lui sont adressées. Il décrit les royaumes, expose les lois, la religion des contrées de l’Occident. Il obtient en retour, non pas la restitution de ses marchandises, mais le don d’un cheval qui valait bien 7 roubles.

A partir de cette entrevue, les rencontres étaient peu à craindre. La caravane avait à traverser le grand océan de sable. Pendant vingt jours, elle poursuit sa marche sans voir une ville, ni une habitation, allant d’un puits à l’autre, et ne réussissant trop souvent à tirer de ces nappes souterraines presque toujours cachées à de grandes profondeurs qu’une eau salée ou saumâtre. Il arriva même plusieurs fois que deux ou trois jours se passèrent sans que la caravane rencontrât aucun puits. Les souffrances des voyageurs devenaient extrêmes ; pour ménager leurs provisions, ils se virent obligés de manger un de leurs chameaux et un de leurs chevaux. Le 5 octobre, un grand golfe apparaît ; la caravane se hâte d’en atteindre le bord. O bonheur ! l’eau est douce. Quel nom donner à ce golfe sauveur ? Pour Jenkinson, ce ne peut être qu’un des nombreux replis de la mer Caspienne. Sur la mer Caspienne, Jenkinson a déjà remarqué, qu’en certains endroits l’eau n’est guère plus saumâtre qu’on ne la trouve généralement à l’embouchure des fleuves. Depuis son départ de Manguslav, la caravane a parcouru 240 milles marins environ dans la direction de l’est-sud-est. Elle touche, à son insu, la rive occidentale de la mer d’Aral.

Dès que le désert n’était plus sans eau, pouvait-on se flatter qu’il serait sans douaniers ? Ceux du roi des Turcomans ne se font pas attendre. Il faut leur payer la dîme d’Azim-khan et la gratification qui revient aux trois frères de ce roi. Le sultan Azim habite le château de Sellizuri, situé au sommet d’une haute colline. De ce palais de terre, bas et non fortifié, Azim-khan, étend son pouvoir sur une plaine fertile, qu’arrosent de nombreux canaux dérivés de l’Oxus. Jenkinson arrivait à Sellizuri le 7 octobre 1558 ; il n’eut qu’à se louer de l’accueil du chef turcoman. Pour la première fois, il faisait usage des lettres de l’empereur de Russie. Le riche présent dont