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longs chapitres, d’un pédantisme abstrait, goûtent beaucoup des utopies qui ne tendraient à rien moins qu’à creuser de nouveau entre eux et nous, une ligne de séparation que chaque jour tend à effacer davantage.

Quittons la gent hébraïque pour revenir à Gwendoline, dont nous comprenons plus facilement les épreuves et les aspirations, Depuis de longues semaines, l’infortunée végète, à bout de forces, sur le yacht de plaisance où l’a fait embarquer son mari. Les voyages en mer sont une des rares choses qui distraient encore Grandcourt. Il règne à son bord plus absolument que partout ailleurs, et il s’est dit que cette petite expédition sur la Méditerranée aurait l’excellent effet de dépayser sa femme, de mater l’esprit d’opposition qu’il a vu poindre chez elle en même temps que certaines velléités sentimentales qu’il est résolu à réprimer. De quoi d’ailleurs peut-elle se plaindre ? Le yacht est un vrai joujou de luxe avec sa cabine tendue de soie et son équipage pittoresque de beaux gaillards frisés au teint de bronze. L’amour est absent de cet esquif doré, c’est vrai. Grandcourt sait parfaitement que sa femme n’a pas fait un pur mariage d’inclination, elle a voulu un rang élevé, l’opulence, et elle possède tout cela. Pour sa part, il a rempli les obligations du contrat. Quant à l’horreur que personnellement il lui inspire, comment s’en rendrait-il compte ? Ses bonnes fortunes lui ont donné une tranquille confiance en lui-même, et jamais sa pensée ne s’est arrêtée à ces répugnances morales plus invincibles que toutes les autres. Leur intimité à bord consiste dans le silence et dans quelques attentions polies de la part de Grandcourt, qui ne manque jamais de poser un châle sur les épaules de sa femme quand la brise commence à fraîchir, ni de lui offrir la lunette quand il y a quelque point de vue à regarder. Cependant Gwendoline nourrit sourdement des projets de révolte, de séparation, de fuite, et n’est arrêtée dans ces résolutions extrêmes que par la crainte d’encourir le blâme d’un absent aimé qui est devenu l’arbitre de sa vie. Un malencontreux hasard, que Grandcourt croit naturellement prémédité, fait, qu’en relâchant à Gênes, le couple voyageur se trouve en face de Deronda. Un rendez-vous solennel avec sa mère qu’il ne doit voir qu’une fois, attire le jeune homme dans cette ville. Grandcourt l’aperçoit sur l’escalier de l’hôtel et conclut que, pour avoir un entretien avec Gwendoline, Deronda n’attend qu’une chose : qu’il ait le dos tourné. Cette petite conspiration sera déjouée sans bruit. Tout en prenant son café, quelques minutes après, il constate avec calme une animation nouvelle, une joie secrète répandue sur les traits, dans tous les mouvement de sa femme, et il la laisse s’abandonner à cette allégresse, sûr de pouvoir l’interrompre quand il le voudra. Ainsi joue le chat avec la souris. En effet, après avoir