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rossignol, et surtout de cette simplicité, de cette douceur, de toutes les vertus qu’elle a, malgré les hommes, gardées au fond de son cœur comme dans un tabernacle, avec la foi ardente au dieu de ses pères.

L’habitude de ne considérer jamais que le bonheur des autres et de s’y sacrifier l’emporte sur l’attrait qui a conduit maintes fois Daniel dans le petit salon hospitalier de Mme Meyrick : il se défend de voir Mirah, il la protégera de loin. Tremblant même d’être indigne d’exercer cette protection dont il a pris si généreusement la charge, il s’efforce, quoi qu’il lui en coûte, de retrouver parmi la population juive de Londres la mère de Mlle Lapidoth, c’est le nom que porte Mirah dans les concerts du grand monde où, grâce à lui encore, on la prie de se faire entendre. Lady Mallinger et Mme Grandcourt se sont intéressées à elle ; peut-être l’intérêt n’est-il pas sans mélange de curiosité chez la première et d’une jalousie vague chez la seconde. Gwendoline et Daniel vivent désormais dans une intimité forcée, le père adoptif de celui-ci étant devenu l’oncle de celle-là. Le jour où on les a présentés l’un à l’autre, Gwendoline a fait avec beaucoup de franchise et de grâce une allusion à leur première rencontre autour du tapis vert de Leubronn, et depuis Daniel a gardé bon gré mal gré la place de mentor.

— Vous opposez-vous à ce que je chasse ? commence-t-elle par lui demander.

— Je n’ai le droit de m’opposer à rien de ce qu’il vous plaît de faire.

— Vous vous êtes bien opposé à ce que je joue ! réplique vertement Gwendoline.

Son intervention dans l’histoire du collier est en effet un précédent qui l’engage. On se croit en droit d’attendre de lui des conseils et des leçons à perpétuité ; certes il lui serait facile de passer de ce rôle épineux à un râle plus doux. Les vacances de Noël qu’il passe à la campagne, sous le toit de sir Hugo, avec la belle Mme Grandcourt, permettent des entretiens qui prendraient une pente périlleuse si Deronda ne forçait à lui rendre des points le vertueux Grandisson lui-même. Elles sont charmantes du reste, ces réjouissances de Noël à l’Abbaye. George Eliot, qui si souvent s’est attardée sous le chaume et dans les antres de la misère, nous prouve qu’elle a, quand il le faut, ce grand ton d’élégance indispensable pour peindre une certaine sphère aristocratique. Les toilettes, les attitudes des jeunes femmes qu’elle groupe dans la somptueuse résidence des Mallinger, inspireraient un Lely ou un Reynolds ; les conversations enjouées, mondaines et légères tranchent agréablement sur le style général ferme, toujours noble et un peu lourd parfois dans sa solidité soutenue. Qu’elle nous promène dans le parc où l’hiver