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bien pousser son cheval du côté des Pierres-Parlantes ; » — les Pierres-Parlantes sont deux blocs coniques qui se trouvent sur le chemin du pique-nique ; — « elle apprendra une chose qui fixera sans doute sa résolution, mais elle ne l’apprendra qu’à la condition de tenir cette lettre secrète. Dans le cas où elle aurait l’imprudence d’en parler, elle s’en repentirait comme s’est repentie la femme qui écrit aujourd’hui. C’est à l’honneur de miss Harleth que sera confié un secret important. »

Gwendoline, en lisant ces lignes mystérieuses, sent un choc intérieur, mais elle se remet assez vite : — Eh bien ! l’avertissement du moins arrive à temps. — Toute sa présence d’esprit se concentre sur le moyen de s’écarter un instant des autres invités pour gagner les Pierres-Parlantes. Peut-être Lush l’aide-t-il, sans paraître intervenir, à se rendre libre quand l’heure est venue.

Déjà elle apercevait les pierres qui, par une nuit étoilée, eussent ressemblé à des spectres drapés de gris, mais le soleil ruisselait sur elles, et Gwendoline se sentait de l’audace. Qu’y avait-il derrière ces rochers ? Rien, peut-être. Son unique crainte était de s’exposer à une mystification ; mais en tournant la première pierre, elle se vit en face d’une femme dont les grands yeux noirs arrêtèrent les siens à un pied de distance. Surprise, elle recula involontairement, non sans envelopper d’un coup d’œil toute la personne de l’étrangère, qui était, à ne s’y pas tromper, une dame du meilleur monde, ses traits fatigués gardaient encore les traces d’une beauté remarquable. À quelques pas, deux beaux enfans, — une petite fille brune de six ans, un garçon plus jeune, — jouaient dans l’herbe.

— Miss Harleth ? dit la dame.

— C’est moi.

— Vous avez agréé les recherches de M. Grandcourt ?

— Non.

— J’ai promis, mademoiselle, de vous confier un secret. Promettez en retour de ne dire ni à M. Grandcourt, ni à personne que vous m’avez vue.

— Je promets.

— Mon nom est Lydia Glasher. M. Grandcourt ne peut avoir d’autre femme que moi. J’ai quitté mon mari, le colonel Glasher, pour lui, il y a neuf ans. Ces deux enfans sont les siens ; nous en avons deux autres, deux filles. Mon mari est mort, et M. Grandcourt doit m’épouser. Mon fils doit être son héritier.

Elle regardait l’enfant tout en parlant. Les yeux de Gwendoline suivirent les siens. Le petit gaillard gonflait ses belles joues en soufflant dans une trompette qui restait muette. Son chapeau pendait sur son dos et ses boucles accrochaient au passage les rayons du soleil ; un vrai chérubin.