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dans un coin de sol natal, et se familiariser avec son aspect, avec les moindres sons qui le hantent ; cet attachement au foyer de l’enfance, aux voisins, aux travailleurs, aux animaux qui en font partie lui restera, non pas à l’état de souvenir sentimental, mais comme une douce habitude qui passe dans le sang pour ainsi dire. A cinq ans, nous ne sommes pas préparés, nous autres mortels, à être citoyens du monde ; il faut que l’âme, de même que le corps, ait son lait nourricier. — Or l’âme de Gwendoline en a été sevrée ; sa mère la gâte déplorablement. Veuve deux fois, elle a eu de son second mariage avec le capitaine Davilow quatre autres filles, mais l’aînée reste toujours son enfant de prédilection ; elle est fière de la beauté, de l’esprit, du caractère déterminé, des supériorités de toute sorte qui distinguent Gwendoline. C’est Gwendoline qui règle tout ; ses sœurs lui sont sacrifiées, car elle a jugé que leur rôle était de demeurer dans l’ombre ; pas plus que leur mère, ces petites filles n’oseraient émettre une opinion avant que Gwendoline se fût prononcée. « Imaginez, dit l’auteur, un jeune cheval de courses au milieu de poneys au poil bourru et de patiens chevaux de fiacre. »

Gwendoline ne veut pas que sa mère soit triste, uniquement parce que cela gâte son plaisir. — J’ai le nez d’une personne heureuse, prétend-elle ; les nez droits se prêtent à tous les rôles indistinctement, mais un nez retroussé n’a jamais joué la tragédie.

— Hélas ! chère petite, soupire Mme Davilow, tous les nez possibles peuvent être misérables en ce monde !

L’année que Gwendoline a passée à Offendene, avant de voyager en Allemagne, a été remplie pour elle en effet d’épreuves variées ; sa vanité d’abord s’est trouvée aux prises avec la gêne, car les affaires de Mme Davilow sont fort embarrassées ; par bonheur le recteur Gascoigne se charge de les débrouiller, et il apporte à cette tâche beaucoup de zèle. C’est un habile homme que ce recteur, un type excellent d’ecclésiastique père de famille ; il a quelques vertus agréables, et les défauts qu’on lui reproche sont de nature à le conduire au succès ; le talent de l’administration se joint chez lui à beaucoup de tolérance pour tous les goûts qu’il ne partage pas ; il voit clair dans les rapports qui peuvent exister entre une religion nationale et maintes choses toutes temporelles ; suffisamment mondain, M. Gascoigne espère, en cultivant de brillantes relations, préparer l’avenir de ses six fils et de ses deux filles : l’intérêt des enfans a souvent modifié ses principes ; il est ambitieux pour chacun d’eux et aussi pour sa nièce, qui sent fort bien qu’elle aura en lui un puissant auxiliaire à ses projets de conquête et de souveraineté. En effet, il ne s’oppose que faiblement à ses prétentions les plus démesurées, approuve par exemple qu’elle ait un cheval