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cet enseignement est celui-ci : grâce à la fécondité de son sol et à la facilité actuelle des communications terrestres et maritimes, l’Amérique peut alimenter aujourd’hui l’Europe de blé, de farine, de viande conservée et même de bétail vivant, comme elle l’alimentait déjà de coton : elle l’habillait, elle peut la nourrir. Grâce à la productivité de ses mines, d’une abondance incomparable, elle peut maintenant se passer de l’Europe pour la fonte, le fer, l’acier, le cuivre et les autres métaux usuels, pour la construction des machines, pour la plupart des produits manufacturés. Elle n’en continuera pas moins d’adresser à l’Europe les lingots d’or et d’argent dont celle-ci a besoin pour toutes ses transactions, et que les gîtes des États-Unis produisent en aussi grande quantité que tous les gîtes du monde entier. Quant à la houille, que l’on voit à Philadelphie en blocs énormes, l’Amérique en produira bientôt autant que l’Angleterre, c’est-à-dire autant que tout le reste du globe, et ses bassins carbonifères sont vingt fois plus étendus que les bassins anglais.

Telle est la leçon économique qui nous paraît surtout résulter d’une visite continue de deux mois que nous avons faite à l’exposition philadelphienne. L’Amérique apprendra à se passer de plus en plus de l’Europe, et l’Europe ne pourra pas se passer d’elle. C’est véritablement une nouvelle Angleterre qui se lève au-delà des mers et qui menace déjà la vieille Angleterre sur tous ses marchés, aussi bien ceux de l’extrême Orient, le Japon, la Chine, peut-être l’Inde, que tous ceux de l’Amérique du Sud. Pour la France, quoique moins intéressée que la Grande-Bretagne dans cette lutte qui commence, elle n’en est pas moins également avertie, sinon atteinte. Il n’est pas jusqu’à nos vins et nos eaux-de-vie que les États-Unis, à la faveur de leurs vignobles, ne tentent de reproduire. Les connaisseurs, et ils sont rares, seront les seuls à ne pas se laisser prendre à cette imitation.

Ce qui est plus grave, c’est que les Américains ravissent de plus en plus les procédés, les tours de main de nos ouvriers. Déjà, dans la bijouterie, l’horlogerie, la joaillerie, l’orfèvrerie, les bronzes d’art, les meubles de luxe, la fabrication des fleurs artificielles, ils produisent des choses qui ont un véritable cachet de solidité et de bon goût. Sur ce terrain l’Américain, à cause même du milieu où il s’agite, et dont le climat, le mélange des races, l’apport incessant de l’immigration asiatique et européenne font un milieu tout spécial et singulièrement favorisé, l’Américain est plus à craindre que l’Anglais. La Suisse s’est émue de la fabrication des montres américaines. Dans la carrosserie, l’ébénisterie, la cristallerie, la céramique, les États-Unis marchent presque de pair avec la France et