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de sa faiblesse, comme il avait alors le sentiment de sa force. S’il peut encore montrer au public un assez respectable bataillon par l’adjonction d’un certain nombre de membres de la gauche pure, il sent que c’est plutôt une cause de faiblesse que de force, puisque cette adjonction ne fait que paralyser ou tout au moins énerver son initiative propre, quand il s’agit de délibérer ou de voter en commun. Aussi peut-on dire que son action a été peu sensible dans les débats qui ont marqué la première session. C’est là une grave lacune dans la majorité républicaine. On voit bien que le centre gauche ne pèse plus autant sur la gauche pour la maintenir dans la politique de conservation. On voit au contraire que c’est la gauche radicale qui pèse sur cette dernière pour l’entraîner dans son orbite. Si le centre gauche n’eût pas perdu aux élections ce que la gauche pure et la gauche radicale ont gagné, il est à croire qu’une majorité de gouvernement se fût formée dès le début de la session. Les élections faites sous l’empire d’un double mot d’ordre : vive la république et guerre aux cléricaux, n’ont point favorisé le parti d’hommes sensés, pratiques, sans fanatisme politique, qui avait fait avec la république un mariage de raison plutôt que de sentiment. Le suffrage universel, selon son habitude, a méconnu les nuances ; il a souvent préféré la passion et la fougue à la sagesse et à l’expérience. Il a envoyé à Versailles une chambre encore plus jeune par l’inexpérience que par l’âge, mais pleine de bonne volonté, à laquelle il ne faut que montrer la voie du salut pour qu’elle la suive. C’est donc tout à la fois une question de direction et d’éducation pour la solution de laquelle les chefs parlementaires auront un grand pouvoir et une grave responsabilité.

Une majorité de gouvernement est donc encore à former dans la chambre des députés. L’obstacle, si notre analyse est exacte, est l’union, maintenue jusqu’ici plus étroitement que jamais, des trois gauches. Si l’habile et hardi chef de l’union républicaine eût réussi dans sa tentative de fusion de tous ces groupes, il eût pu faire un coup de maître au profit de son parti, qui prenait ainsi une importance toute nouvelle ; mais il eût certainement rendu impossible cette majorité de gouvernement qui, pour nous, est le seul dénoûment désirable de la situation. Comment comprendre une pareille majorité où serait l’extrême gauche et où le centre droit constitutionnel ne serait pas ? Jusqu’ici le centre gauche et la gauche ont résisté à cette fusion et ont repoussé les réunions plénières qui devaient la consommer. Que serait devenu le gouvernement parlementaire avec ces réunions ? C’est là que se serait jouée la véritable pièce, dont les débats publics n’eussent été que la parade, seulement la parade après la pièce, ce qui lui eût fait perdre tout son intérêt. Malheureusement, en refusant la fusion, la gauche et