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et d’immobile dans sa nature abstraite, relégué par delà le temps et l’espace, et dont l’existence et l’action créatrice restent un mystère pour la pensée. Est-ce une raison pour le soumettre à la catégorie du devenir, comme ses œuvres ? Non, nous comprenons tout autrement la Cause finale suprême. Puissance éternelle, universelle, infinie en tous sens, elle reste distincte de ses créations, non pas comme cause étrangère et extérieure au monde qu’elle crée éternellement et incessamment, mais en ce sens qu’elle garde toute sa fécondité, toute son activité, tout son être, après toutes les œuvres qui s’échappent surabondamment de son sein, en ce sens qu’elle seule demeure, quand tout le reste ne fait que passer, qu’elle demeure, non pas immobile dans la majesté de sa nature silencieuse et solitaire, puisque sa nature est l’activité même, mais toujours avec la même énergie de création, en sa qualité de puissance infinie. Et d’autre part nous ne comprenons pas davantage le mystère de l’existence d’un être absolu conçu sous deux faces contradictoires, la substance et la cause, immuable et immobile en tant que substance, mobile et changeante en tant que cause. Si l’essence de l’être est la force, si être, c’est agir, pour Dieu est-ce autre chose que de créer ? Est-il possible à la pensée de séparer dans le Créateur ce que la science et la philosophie ne peuvent séparer dans la créature ? Qu’est-ce au fond qu’une pareille conception théologique, sinon une conséquence de la vieille et fausse doctrine de la substance ? Être, agir, créer, c’est tout un pour la Cause première, comme pour les causes secondes.

Laissons donc la catégorie du devenir quand il s’agit de la cause première. Laissons aussi la catégorie de l’idéal qui ne s’applique à rien de mobile ni de vivant. C’est un concept de l’entendement, rien de plus, concept qui nous permet de juger du degré de beauté et de perfection des œuvres de l’art ou de la nature, mais qui n’est point une mesure applicable à l’infini. L’infini et le parfait : que d’obscurités, de contradictions et de non-sens la philosophie des causes finales eût évités si elle ne les eût pas confondus ! Que de difficultés insolubles, d’ailleurs, le concept de l’idéal introduit dans la théologie, n’a pas engendrées ! Ce concept admis pour définir un des attributs de la Cause première, comment résoudre les objections tirées de l’imperfection des œuvres de la nature ? Comment expliquer qu’un Dieu, parfait dans sa nature, ne le soit pas dans ses œuvres ? Comment ce Dieu, si parfaitement sage et bon, maître absolu d’ailleurs de sa matière, puisqu’il la crée, aussi bien que la forme, ait opéré, en certains cas, un peu comme l’artiste qui trouve la matière rebelle à sa main ? Et quant au terrible problème de l’origine du mal, les plus grands maîtres de la théologie ont-ils trouvé le secret de l’énigme ? En se mettant l’esprit à la torture,