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s’est peut-être pas aperçu dès l’origine qu’il se créait à lui-même une difficulté en laissant se propager et s’étendre un tel mouvement d’opinion ; il a permis ces manifestations passionnées, et c’est, à vrai dire, un fait assez extraordinaire que tant d’officiers, tant de soldats, aient pu quitter l’armée russe pour aller guerroyer en Serbie.

Au fond, quelles que soient les apparences, il est bien clair que le cabinet de Saint-Pétersbourg se défend, quant à lui, de ces entraînemens. Sans dissimuler ses sympathies traditionnelles pour les populations chrétiennes de l’Orient, ses intentions protectrices à leur égard, il n’a cessé depuis deux ans de se prononcer avec une persévérante netteté pour la paix. Malgré l’intérêt particulier qu’il portait à ce mémorandum de Berlin qui a eu une si médiocre fortune, il ne s’est laissé aller à aucun mouvement de susceptibilité ou de mauvaise humeur, et tout récemment il a été un des premiers à se rallier au programme de négociation préparé par l’Angleterre. L’empereur Alexandre II, écrivait-on récemment de Pétersbourg pour dissiper les faux bruits, l’empereur est toujours en Crimée, à Livadia, qu’il ne songe pas à quitter, — c’est la meilleure preuve qu’il n’y a rien de changé, que la Russie persiste plus que jamais dans sa politique de modération conciliatrice ! Le malheur est qu’il y ait toujours des confusions possibles, que la Serbie puisse voir dans tous les secours qu’elle reçoit un encouragement, peut-être le prélude d’un concours plus effectif encore, que les agitations de la société russe elle-même soient quelquefois de nature à obscurcir les intentions du gouvernement du tsar. C’est un danger pour la Serbie, c’est peut-être aussi une faiblesse ou un embarras pour la Russie, dont la parole n’arrive à Belgrade que précédée ou accompagnée de commentaires faits pour en atténuer l’efficacité. L’empereur Guillaume, dans quelques mots qu’il a prononcés ces jours derniers à Wissembourg, a parlé des a obstacles que l’empereur Alexandre a dû surmonter pour donner une nouvelle preuve de son amour de la paix » en adhérant aux propositions anglaisés. C’est assurément un gage de courageuse sagesse, et ce qu’il a fait la veille, le cabinet de Saint-Pétersbourg ne peut être soupçonné de vouloir le démentir le lendemain, en laissant concevoir des espérances qu’il ne peut ni ne veut satisfaire. Le vrai péril est dans ces confusions perpétuelles qui pèsent sur la politique de l’Europe et dont le gouvernement anglais lui-même du reste est réduit à se défendre aussi bien que le gouvernement russe.

Que veut l’opinion anglaise ? Évidemment elle passe elle-même par une phase d’agitation et d’impatience où elle serait tout près de rompre avec toutes les traditions de la politique de l’Angleterre. C’est un moment de crise que les libéraux exploitent habilement contre le ministère tory, et M. Gladstone, qui depuis quelque temps semblait perdu dans les études théologiques, a trouvé dans les affaires d’Orient l’occasion