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connais que par ses œuvres. D’après tout ce que j’ai vu et entendu, il est hors de doute pour moi que s’il eût gouverné plus longtemps le vilayet du Danube il en eût fait une province exemplaire en Turquie, laquelle aurait pu servir de modèle pour l’organisation de toutes les autres. » Lorsque M. Kanitz revint à Roustouk en 1868, Midhat n’était plus gouverneur. Des intrigues de sérail, auxquelles certaine diplomatie n’était point demeurée étrangère, avaient déterminé son rappel, et ses indignes successeurs se sont empressés de détruire son ouvrage. Dans la séance du grand conseil qui a précédé la cérémonie de la mosquée d’Eyoub, le sultan Abdul-Hamid, après avoir déploré les massacres de Bulgarie, a déclaré que la Porte s’était placée par ses propres fautes dans une telle situation, qu’elle devait songer à obtenir coûte que coûte une paix immédiate, afin de travailler activement aux réformes qui pouvaient seules la sauver. Le hatt impérial, lu le 10 septembre à la Sublime-Porte, annonce qu’une des réformes projetées est destinée à établir la responsabilité et la stabilité des fonctionnaires de l’empire. Puisse cette promesse être moins vaine que tant d’autres ! Il y va de l’existence de la Turquie.

De toutes les solutions de la question d’Orient qui ont été proposées, celle que M. Gladstone a prise sous son patronage nous paraît la moins satisfaisante. Les petits états autonomes qu’il voudrait fonder sur la rive droite du Danube et sur les deux versans du Balkan seraient-ils en réalité des états autonomes ? Leur indépendance ne serait-elle pas illusoire ? N’auraient-ils pas quelque jour leur Tchernaïef ? Ne tomberaient-ils pas dans les mains des sociétés secrètes ? Il n’y a pas encore en Europe de société d’assurance contre les tarets. Nous doutons, à vrai dire, que M. Gladstone fît le bonheur de ces populations en les émancipant. Il faut plaindre le sort des petits peuples qui se croient destinés à représenter une grande idée. Heureuses la Suisse et la Belgique, elles n’ont point de pareilles prétentions ! C’est un hôte bien incommode et bien coûteux qu’une grande idée logée dans une petite maison ; elle a bientôt fait d’en dévorer les ressources, d’en mettre à sec le coffre-fort, de dépenser pour sa gloire un argent qui aurait pu servir à drainer des champs ou à bâtir des écoles. Ne multiplions pas les peuples hidalgos qui rêvent de chercher des aventures, de pourfendre des géans et de conquérir l’empire de Trébizonde ou de Byzance. Ils prennent en pitié la charrue et le comptoir, ils passent leur temps à se griser de leur future grandeur, qu’ils préparent tout doucement par de petites intrigues asiatiques.

Nous ne croyons pas non plus que la création de ces nouveaux états, qui paieraient à leur suzerain un modeste tribut, fût conciliable avec l’intégrité territoriale de la Turquie, dont M. Gladstone se déclare le partisan convaincu. Il se flatte de la sauvegarder en conservant à la