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tonnes de houille[1]. Prenant alors pour base l’accroissement que l’extraction de la houille avait subi dans la dernière période décennale, M. Stanley Jevons calcule qu’au bout d’un siècle elle dépassera 2 milliards de tonnes par an, et qu’avant ce terme le stock accessible du royaume-uni sera complètement épuisé.

De pareilles assertions ne pouvaient manquer de semer l’émoi. Les journaux renchérissaient sur les prédictions des savans. « Un seau de charbon, y lisait-on, deviendra aussi rare dans le royaume-uni qu’une pièce de deux liards de la reine Anne. » La houille malheureusement est un capital qui s’use et ne se reproduit point. « Une tonne de charbon consommée, disait mélancoliquement un chef d’usine, est un chèque tiré sur la banque de nos houillères ; le vide qu’il fait dans la caisse ne sera jamais comblé. »

Les uns, sous l’impression de ces craintes exagérées, déclaraient qu’il fallait prohiber l’exploitation de la houille ou du moins l’enrayer par un droit de sortie. Déjà, trente ans auparavant, le docteur Buckland, questionné sur ce qu’il pensait de l’exportation de la houille, avait répondu : « Je pense que c’est l’autorisation donnée aux étrangers de consommer l’élément vital de notre postérité. » D’autres au contraire soutenaient que les mines de l’Angleterre étaient pour ainsi dire inépuisables, et que ce serait folie pure de créer un impôt qui pèserait directement sur le commerce du charbon (l’exportation représente aujourd’hui une valeur de 300 millions de francs) et indirectement sur la marine, qui fait la force et la gloire du pays. On faisait remarquer d’une part l’exagération manifeste des calculs de M. Jevons, qui suppose que la consommation croîtra sans cesse en suivant une progression régulière. L’accroissement rapide qu’elle a subi dans ces derniers temps s’explique, disait-on, par la révolution qui s’est opérée dans le matériel de l’industrie et de la marine ; cette transformation une fois accomplie, les besoins rentreront dans une limite plus normale. D’autre part, ajoutait-on, les gisemens de l’Amérique et de l’Australie fourniront bientôt leur contingent à la consommation générale, de manière à se suffire d’abord, ce qui restreindra naturellement l’exportation anglaise, puis à vendre aux étrangers et aux Anglais surtout les charbons dont ils ont besoin pour leurs stations de dépôt. Enfin on contestait l’évaluation de M. Hull relative aux richesses souterraines du royaume-uni, sur laquelle s’appuyaient les calculs des alarmistes. D’éminens géologues, comme sir Roderick Murchison, assuraient que le charbon existe à des profondeurs exploitables sous les formations du nouveau grès rouge et du permien, qui

  1. Pour la fabrication d’une tonne de gros fer, il faut de 4 à 5 tonnes de houille ; il en faut de 10 à 12 pour une tonne d’acier fondu. Un vaisseau cuirassé exige bien 30,000 tonnes de houille pour sa construction.