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façon que toutes puissent s’en déduire comme des conséquences inévitables : tel est en effet l’idéal que poursuit la science proprement dite. Elle aussi, de même que la philosophie, aspire à l’unité ; elle aussi aspire à l’explication universelle des choses par une loi, par un principe unique. On dit même, dans le monde savant, qu’elle est sur la voie de cette vérité première, en poursuivant l’identité des forces naturelles. L’école mécaniste croit déjà tenir la formule de la loi mécanique qui doit expliquer toute chose, dans le monde moral comme dans le monde physique. Nous ne dirons point que c’est là que nous l’attendons. Nous supposons cette loi trouvée, et nous acceptons d’avance l’explication que la science en pourra tirer. Nous nous bornons à redire qu’à ce monde ainsi expliqué il manque une dernière et plus haute explication, s’il ne doit rester une énigme pour la pensée philosophique.

Entre la science et la philosophie, il n’y a donc plus aujourd’hui d’autre difficulté que celle-ci : d’où vient cet ordre admirable, cette étonnante harmonie de toutes choses, dans ce mouvement prodigieux de la vie universelle ? La philosophie ne conteste aucun des résultats obtenus par l’observation, l’expérience et l’analyse scientifique ; elle n’entend élever aucune chicane sur les théories, et même sur les hypothèses plus ou moins fondées de la science. Elle se croit seulement en droit de lui demander, au nom de l’esprit humain, comment il peut se faire que tous ces élémens, tous ces atomes se soient en quelque sorte donné le mot, comme des ouvriers intelligens, pour concourir à une œuvre aussi complexe, aussi difficile que l’ordre cosmique. Qu’à cela la science ne réponde rien et n’ait rien à répondre, la philosophie le comprend. Mais que la science ne permette même pas de poser la question, ainsi que le veulent MM. Littré, Robin, Berthelot et Taine, la trouvant oiseuse et insoluble, c’est là un arrêt que la philosophie ne peut accepter. Laissons pour un moment le problème de la Cause première, et toute conception synthétique du cosmos ; reprenons la question des causes finales au point de vue de la pure analyse. Voici les atomes de M. Berthelot en mouvement pour former les corps en vertu des lois chimiques. Voici les grandes masses planétaires et sidérales en révolution pour produire l’harmonie des sphères célestes. Voici les cellules vivantes de MM. Claude Bernard et Robin qui s’unissent pour engendrer les êtres organisés. Comment cela se fait-il ? Impossible de l’expliquer, si l’on s’en tient aux lois constatées par la science. Rien de plus simple et de plus facile à comprendre, du moment qu’on fait intervenir le principe de finalité. Il ne s’agit point d’évoquer ici le machina Deus, en allant chercher, par delà l’espace et le temps, une cause extérieure, étrangère au monde qu’elle gouverne ; non, il s’agit seulement de ne pas fermer les yeux