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avait supposée jusqu’ici sous le nom de principe vital ; ce sont des systèmes d’individualités actives, possédant la vie en propre, et concourant seulement, en s’entremêlant les unes aux autres, à la formation et au développement d’un tout qui est lui-même une individualité plus complète et plus vivante. Ainsi la vie engendre la vie, et, comme l’a dit Leibniz, chaque vivant est constitué par une infinité d’autres vivans.

Qu’est-ce qui distingue une cellule morte d’une cellule vivante ? Rien, aux yeux du géomètre, du physicien, du chimiste, rien qui soit appréciable, soit au mètre, soit à la balance, soit aux réactifs. Elles diffèrent en ceci seulement, que la première ne possède pas l’espèce d’activité qui anime la seconde. Voilà tout le mystère de la vie, dans la génération des êtres organisés, plantes et animaux. La différence des parties au tout est de degré, non de nature ; les parties y ont les mêmes propriétés essentielles que le tout. C’est la seule différence de la vie fragmentaire à la vie totale, de l’individualité simple à l’individualité complexe, avec cette particularité que plus la vie monte dans l’échelle des êtres organisés, plus s’accentuent les différences entre les propriétés des élémens et du tout. C’est ainsi que, sans avoir l’air de s’en douter, et sans trop s’en soucier, en tout cas, nos éminens physiologistes contemporains s’entendent avec des métaphysiciens comme Leibniz et peut-être Aristote. Au lieu d’admettre que le corps est animé par un principe vital qui coordonne et dirige les mouvemens des particules dont il se compose, ils considèrent que, grâce à un parfait accord en vertu duquel chaque cellule vivante se rencontre avec les autres dans une suite de mouvemens indépendans et pourtant harmoniques, l’unité organique se forme, se développe et s’achève. C’est exactement le système de l’harmonie préétablie, moins l’existence et l’activité créatrice de la grande monade qui explique tout cela dans la philosophie de Leibniz. Nul philosophe de nos jours n’a mieux compris et fait ressortir ce rapprochement, que le jeune savant qui a été si cruellement enlevé par une mort prématurée aux espérances de la philosophie[1]. Ainsi, ni pour expliquer le mouvement, ni pour expliquer la vie, la science n’a besoin de recourir à l’hypothèse d’un principe étranger et extérieur au monde. C’est dans la substance cosmique elle-même qu’elle nous montre l’activité créatrice de la cause finale opérant d’après des lois immuables, éternelles et universelles, conformes à son essence même. Le grand Ouvrier du Cosmos ne fait point son œuvre à la manière de l’artiste qui regarde son modèle en façonnant une matière inerte et rebelle

  1. Fernand Papillon, Leibniz et la science contemporaine, dans la Revue du 15 mars 1871.