Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/620

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

argument solide en faveur du divorce. Dans la théorie d’Enfantin, au contraire, le divorce est établi tout d’abord comme un droit, et non comme une exception malheureuse. Le droit à l’inconstance est reconnu au même titre que le droit à la constance et à la fidélité. Ce n’est pas, comme le veut la société actuelle, comme le voulaient encore Bazard et Olinde Rodrigues, la monogamie qui est la règle, le divorce n’étant que l’exception : non, il y a deux sortes de mariages, l’un permanent, l’autre mobile et changeant. Sans doute la polygamie ne sera que successive, et non, comme chez les mormons, simultanée ; mais la polygamie successive est reconnue d’avance comme une forme d’union aussi régulière, aussi légitime que la monogamie.

Telle est sur le premier point, à savoir l’organisation du mariage, l’opinion d’Enfantin, telle qu’il l’a exposée dans sa lettre à sa mère, et plus tard dans la réunion générale de la famille, et enfin dans le cinquième enseignement, à peu près toujours dans les mêmes termes. Ch. Duveyrier, le plus naïf et le plus ardent des disciples d’Enfantin, résumait très bien cette doctrine en disant qu’il y a des hommes « qui n’ont pas le sentiment du mariage, comme il y en a qui n’ont pas le sentiment de la propriété ; » que la société est divisée en deux mondes : « l’un vivant sous la loi du mariage, l’autre en dehors de cette loi. » Il s’agissait de régulariser cette distinction en donnant un droit égal à ces deux mondes, en les faisant vivre l’un et l’autre et au même titre sous l’empire de la liberté. Pour guérir le mal que l’on appelle aujourd’hui libertinage, Enfantin, dans ses lettres à Thérèse, » soutenait que l’on ne peut le combattre et le détruire « sans légitimer quelques-unes des causes qui y mènent. » Prenant pour exemple et prétexte ce que nous appelons aujourd’hui les femmes légères, il demandait s’il n’est pas possible ? d’utiliser les dons que Dieu leur a faits, de beauté, de force, de légèreté, de mobilité. » On s’indigne « de la permission de changer de mari comme d’une source de licence, comme si aujourd’hui la femme demandait à personne la permission de changer d’amant, » ce qui, ajoutait-il, « serait une faute grave dans l’avenir. » Ainsi l’idéal d’Enfantin, c’est de régulariser l’amour libre sous la surveillance du prêtre.

Nous touchons ici à la seconde partie de la théorie, qui se présente d’abord comme une sorte de tempérament à la première, mais qui en réalité vient y ajouter de nouveaux excès et de beaucoup plus graves encore. C’est ici que la doctrine d’Enfantin prend un caractère particulièrement repoussant, en prêchant ouvertement ce que l’on peut appeler la prostitution religieuse. Il emprunte aux plus basses religions de la nature et aux sectes les plus décriées une sorte de droit du seigneur au profit du prêtre et de la