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accepté librement, dont l’union préparée par l’éducation a reçu la sanction de l’autorité religieuse, homme et femme. » Ainsi cette unité d’action entre les deux conjoints, qui se rencontre aujourd’hui jusqu’à un certain point dans le commerce, dont on peut voir aussi quelque exemple dans le sacerdoce protestant, deviendrait la règle universelle de la société. Jusqu’ici une telle doctrine n’a rien de particulièrement choquant, quoiqu’on se représente difficilement la même fonction, à tous les degrés de l’échelle, remplie à la fois par deux personnes.

À cette doctrine de l’individu social, les saint-simoniens en ajoutaient une autre qui en était la conséquence, celle de « l’égalité » de la femme et de l’homme. Ils protestaient contre l’état actuel de la société où les femmes, affranchies « de la servitude, » ne le sont pas « de la subalternité ; » le saint-simonisme venait proclamer leur complète « émancipation » au triple point de vue « religieux, civil et politique. » Ainsi les fonctions religieuses seraient à la fois remplies au même titre par les deux sexes. Le « prêtre social » serait un couple, homme et femme, à la fois prêtre et prêtresse. Il en serait de même des fonctions publiques, et aussi des droits civils, très simplifiés du reste par l’abolition de la propriété de fonds. Cette seconde théorie, quoique vague, n’avait encore rien de contraire, rigoureusement parlant, à la morale ; elle n’était que l’exagération d’une opinion souvent émise, à savoir que la femme est traitée par la société actuelle en mineure et qu’elle a droit à la pleine indépendance. Cette indépendance, elle l’a quand elle est fille ou veuve, pourquoi ne l’aurait-elle pas étant mariée ? Les saint-simoniens, placés exclusivement au point de vue de l’amour et de l’affection, ne se demandaient pas comment pourrait s’établir dans un couple l’unité d’autorité.

Mais ce ne sont là après tout que des questions secondaires : ce qui nous importe, ce que nous désirons avant tout de savoir, c’est comment les saint-simoniens entendaient les relations des deux sexes. Déjà, en 1830, on leur imputait en quelque sorte d’avance[1] les plus mauvaises doctrines, la promiscuité, la communauté des femmes. Les saint-simoniens, dans leurs textes officiels, avant la phase d’Enfantin, protestent et avaient le droit de protester contre cette imputation. Ils ne sont pas venus, disent-ils, « abolir la sainte loi du mariage proclamée par le christianisme. » Ils demandent, comme les chrétiens, « qu’un seul homme soit uni à une. seule femme. » Ils veulent seulement que l’épouse devienne « l’égale de l’époux. » Ainsi parlent-ils dans la pétition à la chambre des députés. On peut croire que dans un document public ils ont

  1. La question n’a commencé à être débattue dans l’école qu’à la fin de 1831.