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seconde est celle d’Enfantin seul : elle n’appartient qu’à lui. Jamais elle n’a été reconnue par l’église. Non-seulement elle a déterminé un schisme profond et a été l’occasion du départ de quelques-uns des plus éminens de la secte, mais ceux-là mêmes qui sont restés fidèles, n’ont jamais adhéré textuellement au nouveau dogme ; jamais Enfantin lui-même n’a présenté ses idées sur ce point comme un dogme, mais seulement comme une opinion personnelle, et cela avec des réserves qui paraissent ressembler quelquefois à une sorte de demi-rétractation. La première théorie, celle qui appartient à l’école saint-simonienne tout entière, est exposée, soit dans la Lettre au président de la chambre des députés (1er octobre 1830), soit dans la note sur le Mariage et le Divorce, rédigée par Olinde Rodrigues, et lue au Collège le 17 octobre 1831[1]. Quant aux doctrines particulières d’Enfantin, elles sont exposées pour la première fois dans une lettre à sa mère (août 1831), puis dans une lettre à Thérèse, sa cousine[2], où il répond aux objections que lui adressait cette personne sensée, restée fidèle aux principes et aux opinions du vieux monde. Quant à l’exposition dogmatique des idées d’Enfantin sur la famille, on la trouve encore dans la brochure intitulée : Réunion générale de la Famille (avril 1832)[3], et dans les Enseignemens d’Enfantin. Il faut ajouter, comme document intéressant cette question, l’article de Ch. Duveyrier sur la Femme, dans le Globe du 12 janvier[4]. Il n’est pas facile de se retrouver au milieu de tous ces documens ; cependant ils sont nécessaires à consulter, si l’on veut juger avec équité ce procès scabreux.

La doctrine qui paraît avoir été commune à toute l’école et qui s’autorise des noms de Bazard et d’Olinde Rodrigues aussi bien que d’Enfantin, doctrine qui est le seul article de foi que les saint-simoniens aient expressément accepté, c’est la théorie de « l’individu social. » Suivant cette théorie, l’élément primordial de la société, ce n’est pas, comme aujourd’hui, l’homme seul ou la femme seule ; c’est à la fois l’homme et la femme. L’individu est double : c’est un « couple. » La femme doit être associée à l’homme « dans l’exercice de la triple fonction du temple, de l’état et de la famille. » Ce principe fondamental était exprimé par Olinde Rodrigues en ces termes ; a Toute œuvre sociale dans l’avenir est l’œuvre d’un couple, homme et femme, complémens l’un de l’autre, recherché,

  1. Voyez ces deux pièces, t. IV des Œuvres, p. 119 et 126.
  2. Œuvres, t. XXVII, p. 101, 211, et t. XXVIII, p. 1.
  3. Dans les Notices historiques de la nouvelle édition (t. IV, p. 15), on ne donne que la discussion qui a eu lieu à la suite de cette exposition, et non l’exposition elle-même ; mais elle se retrouve amplement et en termes presque identiques dans les Enseignemens, t. XIV, XVI et XVII.
  4. Cet article, qui fut, avec la brochure précédente, l’objet de la poursuite en 1832, est reproduit dans le volume du Procès, p. 82,