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Telles furent les doctrines philosophiques et religieuses du saint-simonisme. Voyons maintenant comment l’église saint-simonienne essaya de se constituer sur ces bases, et sur quel écueil elle a échoué.


III. — LA FAMILLE.

Le problème le plus difficile que le saint-simonisme eût à résoudre était le problème de la famille. L’ardeur réformatrice de l’école devait-elle s’arrêter devant ce problème, et ménager sur ce point les susceptibilités de la société actuelle, que l’on froissait déjà si vivement par tant d’autres côtés ? Le saint-simonisme, s’il eût été sage, n’eût pas touché à une question aussi délicate : il l’eût laissé discuter par l’avenir. Mais d’une part la logique l’entraînait : il est difficile de toucher à la propriété sans menacer plus ou moins l’institution actuelle de la famille. En outre, le dogme religieux de la réhabilitation de la chair demandait aussi à avoir ses conséquences concrètes, car se borner à réhabiliter l’industrie ne signifiait pas grand’chose. Enfin l’imagination enflammée du chef prépondérant de la nouvelle secte, bien loin de se détourner de ces problèmes, s’y portait au contraire avec une prédilection malheureuse, comme il est arrivé presque toujours aux pseudo-mystiques. L’équivoque perpétuelle du mot d’amour, qui servait de ralliement à la religion nouvelle, prétendant surpasser en cela même le christianisme, ne se prêtait que trop à cacher des tendances manifestement sensuelles sous les effusions affectées d’une langue semi-religieuse. Enfin, ne l’oublions pas, le saint-simonisme fut surtout une école de jeunes gens, et les instincts violens de la jeunesse, bien loin d’être contenus, ne pouvaient au contraire qu’être exaltés et surexcités par la fièvre d’enthousiasme dont ils étaient alors embrasés. Quoi qu’il en soit, le saint-simonisme n’évita pas cet écueil, et il y échoua. L’inventeur du phalanstère, Fourier, commit la même erreur, et son école eut la même fortune : on peut affirmer qu’il en sera de même de toute secte qui suivrait la même voie. Tant qu’une école se contente de toucher à la propriété, elle peut trouver quelque appui dans les instincts des classes malheureuses, et quelquefois même dans les instincts généreux des mieux partagés ; mais toute secte qui voudra toucher en Europe à l’institution de la famille est d’avance condamnée à mort.

Cependant, pour juger avec équité le saint-simonisme dans une question où il a soulevé tant de répulsions, il ne faut pas oublier qu’il y a eu dans cette école deux opinions sur la question des sexes. La première est la seule qui puisse être imputée à l’école tout entière, la seule qui ait été considérée comme article de foi. La