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les parts sont égales, tout principe d’émulation est anéanti. L’équilibre d’ailleurs, à peine établi, serait à chaque instant rompu, et l’inégalité tendrait sans cesse à se reproduire. Enfin le système de l’égalité des biens ne fait que transporter le privilège d’une classe à une autre, et au profit des moins capables et des moins laborieux. En un mot, dans leur Pétition au président de la chambre des députés, résumant les argumens précédens, ils disaient : « Les saint-simoniens repoussent le partage égal, comme une violence plus grande, une injustice plus révoltante que le partage inégal. Ils croient à l’inégalité naturelle des hommes, et regardent cette inégalité comme la base même de l’association. Ils repoussent la communauté comme la violation de cette loi qui veut que chacun soit placé selon sa capacité et rétribué suivant ses œuvres. Mais en vertu de cette loi ils demandent l’abolition de tous les privilèges de la naissance sans exception, et par conséquent la destruction de l’héritage. Ils demandent que tous les instrumens de travail soient réunis en un fonds social pour être exploités par association et hiérarchiquement. »

Les saint-simoniens avaient raison de dire qu’ils repoussaient l’égalité des biens ; mais peut-être jouaient-ils sur les mots lorsqu’ils se défendaient de l’accusation de communisme. Sans doute ils étaient inégalitaires, mais ils étaient communistes en ce sens que, suivant eux, tous les capitaux devaient appartenir exclusivement à l’état et étaient mis par conséquent en commun, l’usufruit seul appartenant aux individus, et encore sous la surveillance du gouvernement. Au reste, Babeuf également, et avant lui Mably, s’étaient défendus de la même accusation par les mêmes raisons : ils avaient combattu la loi agraire et le partage comme absurde et impraticable ; or c’est précisément le propre du communisme de s’opposer à toute idée de partage, soit égal, soit inégal. C’est la propriété indivise de tous les fonds qui est l’essence même du communisme ; cette idée était incontestablement celle du saint-simonisme. Il est juste cependant de reconnaître qu’il s’élevait fort au-dessus du babouvisme, non-seulement par les moyens pacifiques qu’il prétendait employer, mais encore par le principe du mérite personnel, qui était la clé de voûte de tout l’édifice, tandis que Babeuf n’avait rêvé qu’une égalité brutale de jouissances et le partagé, sinon du fonds, du moins des produits.

La doctrine sociale du saint-simonisme était donc une sorte de communisme inégalitaire. Ils maintenaient, et même poussaient à l’excès le principe de la hiérarchie et de l’autorité. Tout le monde était classé dans un vaste système, embrassant la société tout entière et tous les genres d’activité, et organisé sur le plan de nos grandes administrations publiques. Nos sectaires étaient très