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l’amortissement. — 4° La concurrence est la source de tout le désordre économique. — 5° La liberté de conscience n’est qu’un état provisoire de la société : elle tient à l’état critique de cette société et disparaîtra lorsque l’état positif sera définitivement établi.

On remarquera, d’après ces principes, que l’esprit de réforme a déjà fait un pas depuis Saint-Simon, Pour celui-ci, les oisifs étaient les propriétaires fonciers. Il n’a jamais appliqué cette expression aux bailleurs de fonds industriels, et en général aux capitalistes. Il n’a pas touché à la question de l’intérêt du capital ; il n’y a pas vu une prime prélevée au profit de l’oisif sur le travail du producteur. C’est avec Enfantin que commence la croisade du socialisme contre le capital. Les raisons qu’il invoque sont celles-ci : sans doute le propriétaire a le droit de détruire, mais seulement les fruits du travail passé, non ceux du travail futur[1]. On fixe les conditions du travail ; pourquoi ne fixerait-on pas les conditions du repos ? Le capitaliste rend service à l’emprunteur, mais l’emprunteur ne rend-il pas service au capitaliste ? Quant aux moyens de réduire indéfiniment le taux de l’intérêt, ils consisteraient, suivant Enfantin, à mettre immédiatement en présence les industriels et les capitalistes ; mais en quoi son système différerait-il des banques actuelles, c’est ce qu’on ne voit pas clairement. La seule différence signalée serait que les billets des nouvelles banques ne seraient pas remboursables à vue ; comment cette prescription servirait-elle à faire baisser progressivement, et même à annuler définitivement, le taux de l’intérêt, c’est ce que nous sommes hors d’état et de comprendre et d’expliquer. Mais ce ne sont là que des ébauches d’idées, les premiers germes d’un système dont l’inventeur même n’avait pas encore une conscience distincte. Il faut négliger ces premiers et grossiers linéamens pour arriver à la doctrine définitive, qui se compose de trois théories fondamentales.

Les trois points sur lesquels l’école saint-simonienne a de beaucoup dépassé la pensée du maître, sont les trois bases essentielles de toute société : la propriété, la religion et la famille. Dans ces trois ordres de questions, le saint-simonisme a eu trois doctrines nouvelles et particulières que Saint-Simon n’avait pas connues, et qui sont caractéristiques de l’école. Ce sont, dans la théorie de la propriété, l’abolition de l’héritage ; dans la métaphysique et dans la religion, la doctrine de la réhabilitation de la chair, dans la

  1. Cette distinction n’est pas claire : elle signifie que nous avons le droit de consommer ce qui est nécessaire à notre subsistance et même à notre agrément ; mais pour ce qui est au-delà, à savoir l’épargne, ce n’est qu’un moyen de reproduire les fruits, elle n’est donc pas à nous, et nous n’en sommes que les détenteurs et les distributeurs. C’est pourquoi les propriétaires a exercent une fonction sociale. » Tout le saint-simonisme consiste à entendre au propre, ce que l’église a dit si souvent au figuré, à savoir que les riches sont les intendant des pauvres.