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communications entre l’Europe et la Chine auraient donc vers la fin du XIVe siècle complètement cessé, si les marchands tartares et les marchands persans, plus accoutumés à de pareils risques, protégés d’ailleurs par les rapides progrès du mahométisme, ne se fussent chargés de les entretenir.

Djinghis-kjian et Tamerlan n’avaient pas eu d’héritiers de leur toute-puissance en Asie ; une longue succession d’événemens combla cette lacune en Europe, mais le grand-khan du XVIe siècle ne fut pas un Mongol. Il s’appela le tsar blanc. Ivan Vasilévitch était en mesure d’assurer la sécurité des échanges dans les anciens états du moursa de Kiptchak, aussi bien que dans les immenses domaines que lui avaient légués Ivan III et Vasili IV, parce que ces états, il les avait subjugués ou conquis ; il ne pouvait rien au-delà de l’embouchure du Volga et des bords de la mer de Bakou[1]. Jenkinson n’en compta pas moins sur l’ascendant de ce nom redouté et, en 1557, il conçut le projet de reprendre, avec la protection d’Ivan IV, la route qu’avaient suivie en 1250 Nicolò et Matteo Polo, sous la sauvegarde des khans de Kiptchak et des khans de la Boukharie. André Judde, George Barne, Anthonie Huse, William Garrard et William Chester, consuls de la compagnie moscovite, se montrèrent, en cette occasion, les dignes successeurs de Sébastien Cabot. Ils donnèrent leur complète approbation à un dessein qui eût effrayé peut-être les trésoriers de la reine Marie, mais qui devait sourire à la corporation des drapiers de Londres, largement représentée dans la compagnie des marchands aventuriers. « Nous vous envoyons, écrivirent-ils à leurs trois agens en Russie, George Killingworth, Richard Gray, Henry Lane, un grand voyageur que nous voulons employer à voyager encore. Vous mettrez à sa disposition un ou plusieurs de nos apprentis. Vous lui confierez également l’argent et les marchandises qu’il pourra juger à propos d’emporter. Il recevra quarante livres par an pendant quatre années ; la moitié de cette somme lui sera payée tous les six mois. » Voilà certes un commis voyageur investi d’une bien absolue confiance. Ce commis traitera bientôt de pair avec les souverains, et il ne faut pas trop s’en étonner, car au XVIe siècle plus d’un potentat ne dédaignait pas de faire le commerce pour son propre compte et de vendre, comme l’avait fait en d’autres temps Charlemagne, les herbes de son jardin.

Le 12 avril 1558, jeudi de la semaine sainte, Jenkinson et Gray dinèrent chez l’empereur. A la fin du repas, l’empereur à chacun d’eux envoya de sa main une coupe d’hydromel. Debout au milieu

  1. C’est sous ce nom que les marchands européens désignaient au moyen âge la mer Caspienne.