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Ils font grande consommation de crêpes et d’autres plats du même genre. Le soir, ils se visitent, et s’enivrent régulièrement, si l’on en croit Jenkinson, toutes les nuits. « Personne, dit-il, n’en rougit et n’en ferait reproche à son voisin. » Durant les six semaines qui suivent cette première semaine d’abstinence, le beurre, le fromage, les œufs, le lait même, vont être interdits. Le dimanche des Rameaux ne le cède pas en solennité au jour des Rois. On prend un arbre « d’une bonne grosseur » et on l’attache entre deux traîneaux. Des branches pendent des pommes, des raisins secs, des figues, des dattes et d’autres fruits ; cinq jeunes garçons, vêtus de blanc, se tiennent dans le feuillage et y chantent des cantiques. Les cierges allumés et la grande lanterne sont revenus prendre leur place dans la procession. Les longues bannières, les images des saints, ne sont pas non plus absentes. Les prêtres sont nombreux ; dix ou douze portent des étoles de damas blanc, brodées les unes de belles perles de la grosseur d’un pois, les autres de saphirs. L’empereur et le métropolitain marchent cette fois de front ; seulement, l’empereur est à pied, le métropolitain a sa monture. Un grand drap blanc tombant jusqu’à terre enveloppe le palefroi ; les extrémités de ce drap ont fait au noble coursier d’immenses oreilles. Le cheval qui porte d’ordinaire l’évêque de Moscou s’est métamorphosé. Ce fut sur un âne que le Sauveur du monde entra dans Jérusalem ; c’est sur un âne que le métropolitain, en mémoire du dernier triomphe du Sauveur, doit se montrer au peuple. Le prélat, — ainsi le veut à Moscou la tradition, — est assis de côté, à la façon d’une femme. Il tient de la main gauche, appliqué contre sa poitrine, un livre dont la couverture présente incrusté un riche crucifix de métal ; sa main droite est armée de la croix et ne cesse pas un instant de bénir le peuple. 30 serviteurs étendent, à la suite l’un de l’autre, leurs vêtemens sur la route ; dès que le cheval a passé, ils relèvent leurs habits et courent en avant pour les étendre encore. Le cheval ne doit marcher que sur des étoffes. Ceux qui prennent le soin d’empêcher que ses pieds ne viennent à toucher la terre reçoivent pour leur peine des robes neuves qui leur sont distribuées par les ordres et aux frais de l’empereur. Tous sont fils de prêtres, car, on ne l’ignore pas, les prêtres russes, sont mariés ; seulement s’ils deviennent veufs, ils ne peuvent se marier une seconde fois. Dans ce cas, il ne leur reste qu’à se faire moines. Les moines en Russie sont, comme les prêtres de l’église romaine, voués au célibat.

Un des gentilshommes de l’empereur conduit le cheval du métropolitain par la bride ; l’empereur lui-même, de sa propre main, tient le bout des rênes, son autre main porte une branche de palmier. Entre la foule et lui marche rangée la moitié de ses gentilshommes ; l’autre moitié a dû le précéder. La procession se rend