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commode habitude de n’en point fournir à leurs troupes. Chaque soldat russe s’approvisionnait lui-même pour quatre mois de campagne, d’un biscuit grossier qu’il appelait souchary, de farine d’avoine, d’un peu de poisson sec, de lard ou de viande séchée.

L’armée se partageait en quatre grandes légions : l’aile droite, l’aile gauche, les troupes légères, la réserve. Le voïvode qui la commandait avait sous ses ordres 1 lieutenant-général, 4 maréchaux de camp, 8 généraux et une foule d’officiers subalternes conduisant, les uns 1000, 500 ou 100 soldats, les autres 50 ou 10. Le commandant de l’artillerie et le commandant du train, sans cesser de dépendre du commandement suprême, avaient une responsabilité spéciale et des fonctions nettement définies. Ils portaient, comme le général en chef, le titre de voïvodes. Le seul ordre de bataille que connussent les légions moscovites consistait à se grouper autour de leurs enseignes respectives. Une immense clameur, accompagnée du son des trompettes, des cornets à bouquin, des petits tambours de cuivre que les officiers portaient suspendus à l’arçon de leur selle, donnait, le moment venu, le signal de la charge. De gros tambours suspendus entre quatre chevaux et sur lesquels s’évertuaient huit frappeurs augmentaient l’horrible fracas, moins destiné peut-être à porter la terreur chez l’ennemi qu’à noyer le sentiment du danger dans une ivresse guerrière. Les cavaliers se précipitent pêle-mêle en avant : ils ont lancé leurs flèches ; maintenant ils tirent leur sabre et le font tournoyer au-dessus de leurs têtes, avant d’en venir aux coups. Les escadrons se joignent dans des flots de poussière, tout semble confondu : Que le Dieu des armées en décide ! le général en chef désormais n’y peut rien. Il lui reste cependant son infanterie. S’il a pris soin de la bien poster, de la cacher dans quelque pli de terrain, cette force, sortant à l’improviste de l’embuscade d’où elle a pu incommoder l’ennemi sans recevoir elle-même aucun mal, est capable de changer brusquement la face du combat. L’impétuosité de la cavalerie tartare s’est, plus d’une fois, brisée à cet écueil, car la supériorité du soldat russe se montre surtout dans la défensive. Nulle troupe n’est plus apte à supporter les rigueurs d’un siège ; dans les combats corps à corps l’avantage demeure au contraire aux Tartares.

Farouche par nature, le Tartare a été rendu plus hardi et plus sanguinaire encore par la pratique continuelle de la guerre. Le soldat russe, s’il commence à battre en retraite, met toute sa confiance dans la rapidité de sa fuite. Atteint par l’ennemi, il ne se défend pas, il ne demande pas non plus bassement la vie ; il se résigne tranquillement à mourir. Le Turc, quand il a perdu l’espoir de s’échapper, a recours aux supplications. Il jette son arme, tend ses