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grand-connétable avait à la fois la haute main sur les terres affectées à l’entretien de la milice et sur les soldats, dont la culture de ces terres devait assurer la subsistance. C’était lui qui présidait aux levées générales. Quand l’appel fait aux syny-boïarsky ne suffisait pas, on y joignait l’appel des kholopy, soldats laboureurs qui déposaient les armes aussitôt après la campagne terminée et retournaient sans murmure à leurs travaux serviles, Les kholopy ne cultivaient pas comme les syny-boïarsky le sol pour leur propre compte ; ils étaient les serviteurs des seigneurs qui avaient la charge de les équiper. Longtemps la Russie ne connut pas d’autre armée que ces deux bans distincts de la milice. Ivan III le premier groupa un noyau de troupes permanentes autour de sa personne. Sous Ivan IV on comptait 15,000 dvorianin, cavaliers pensionnés représentant une dépense de 55,000 roubles[1] et 12,000 strelitz, fantassins mousquetaires. À chacun de ces dvorianin et de ces strelitz — les delhis et les janissaires du Grand-Turc, — le tsar, outre 12 mesures de seigle et d’avoine, allouait une solde de 7 roubles par an. Ces 27,000 hommes formaient avec 8,000 ou 9,000 auxiliaires étrangers, Polonais, Écossais, Allemands, Grecs, Turcs, Danois, Suédois, Circassiens, une force toujours prête à entrer en campagne. Joignez-y 65,000 droujinniks, troupe à cheval que 110 capitaines, choisis par l’empereur dans les rangs de sa meilleure noblesse, prenaient l’engagement, moyennant le paiement d’une rente de 40,000 roubles, de fournir, d’équiper et de rassembler chaque année sur les frontières de la Crimée tartare, vous aurez une idée complète de l’organisation militaire de la Russie au XVIe siècle. Une dépense annuelle de 180,000 roubles[2] mettait donc le tsar en mesure d’ouvrir, sans autres préparatifs, les hostilités, à la tête de 80,000 cavaliers et de 12,000 fantassins. Les syny-boïarsky et les kholopy, comme l’avait remarqué Chancelor, ne lui coûtaient rien, mais l’empereur ne les convoquait jamais sans de graves motifs[3]. Dans les occasions ordinaires les troupes régulières et soldées pouvaient se passer du concours de la milice. Comparées aux soldats des autres états de l’Europe, ces troupes auraient paru médiocrement armées. Le cavalier n’avait que son arc, son carquois et son sabre ; le strelitz à pied portait la hache d’armes sur le dos, le sabre au côté, l’arquebuse ou le mousquet à la main. Quant aux vivres, les empereurs avaient pris la

  1. Le rouble valait en 1557 de 12 à 13 shellings anglais. Le marc d’argent pesait une demi-livre, et deux marcs valaient 20 shellings, ou 20 sous tournois.
  2. 2,340,000 shellings environ.
  3. On aura remarqué l’extrême analogie qui existe entre les syny-boïarsky russes et les timariotes ottomans. Une constitution à peu près semblable du pouvoir appelait nécessairement au XVIe siècle des institutions militaires identiques dans l’empire de Soliman le Grand et dans celui d’Ivan Vasilévitch.