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en Écosse. Les prédécesseurs de Basile présentaient dans leur casque l’avoine au cheval du grand khan de Crimée, Basile lui-même n’avait pu se soustraire à cet humiliant hommage qu’en faisant accepter en échange au souverain tartare, abusé ou séduit, le tribut annuel d’un riche lot de fourrures ; Ivan IV, le premier, est, dans toute la plénitude de l’expression, un tsar, c’est-à-dire un roi qui ne paie de tribut à personne[1].

De 1553 à 1561, la principale ambition d’Ivan IV paraît avoir été d’acquérir un libre accès au golfe de Finlande. L’Océan-Glacial et la mer Caspienne marquaient les deux extrémités de son empire ; la Baltique pouvait en devenir la grande artère. L’ordre de Livonie ne résista pas mieux au tsar que ne lui avait résisté la Horde-d’Or. Narva est prise d’assaut presqu’à la vue de Ketler, le dernier grand-maître des porte-glaives, Dorpat capitule ; vingt villes ouvrent leurs portes au voïvode Chouiski. Les Russes sont bientôt maîtres de la Livonie tout entière, à l’exception de Riga et de Revel. Le roi de Danemark se plaint qu’on lui fasse tort de ses droits du Sund, en commerçant avec la Russie par la baie de Saint-Nicolas ; Ivan IV vient d’ouvrir à ses alliés une voie bien plus directe, s’ils veulent venir d’Angleterre à son aide. De l’embouchure de la Narova à Pleskov et à Novgorod les transports sont faciles ; sur la rive gauche du fleuve, Ivan a bâti une ville ; sur la rive droite, un château qui portera le nom d’Ivangorod. Ce château, est, dit-on, l’œuvre d’un Polonais ; les Russes le regardent comme imprenable. Sait-on, s’il faut en croire la sombre légende qui s’attache à tous les actes d’Ivan le Terrible, quelle a été la récompense de l’habile architecte ? Ivan lui a fait crever les yeux afin qu’il ne pût jamais construire pour ses ennemis un château semblable.

De pareils contes, alors même qu’ils sont attestés par plus d’un témoignage, ne sauraient être admis à la légère. Ivan IV tenait trop à faire rechercher son service pour le rendre follement aussi périlleux. Il a brûlé vifs des étrangers ; mais ces étrangers, comme le docteur allemand Bomélius, le trahissaient. Quant à ceux qui l’ont secondé fidèlement, il n’est sorte de faveurs qu’il n’ait accumulées sur leur tête. Dès le lendemain de leur arrivée à Moscou, le tsar veut voir les nouveaux serviteurs que vient de lui amener le Primerose. Osip Népéi les introduit, Ivan IV les reçoit comme il aurait reçu des ambassadeurs, la couronne impériale sur le front, le sceptre d’or garni de pierres précieuses à la main. Le soir même, il les fait dîner en sa présence, dîner avec ses gentilshommes, avec ses Circassiens, avec son propre frère et les deux rois de Kazan, celui qu’il a vengé et celui qu’il a vaincu. L’un est un homme fait,

  1. Les historiens russes ne sont pas ici tout à fait d’accord avec les anglais. Suivant eux, Ivan III avait, dès l’année 1480, refusé le tribut au khan de la Grande-Horde.