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Dvina roule avec une grande rapidité ses eaux claires sur un lit de craie et de sable. Pour en remonter le courant, Jenkinson prit un petit bateau qui lui fit dépasser le jour même du départ l’embouchure de la Pinega, située à 15 verstes en amont de Kholmogory. Le 19 août au matin, Anthony arrivait à un village appelé Yemps[1] ; de Yemps, il atteignait Oustioug, et d’Oustioug gagnait, en compagnie de nombreuses barques poussées par un vent favorable, le village de Totma. Là durent s’arrêter « les dosnicks et les nassades. » La Dvina devient sur ce point peu profonde, et bien que la nassade, portant bravement ses 200 tonneaux de sel, ne tire que 4 pieds d’eau, elle ne réussirait pas à franchir les roches et les hauts-fonds qui encombrent à Totma le lit de la rivière. Le 20 septembre, Jenkinson prenait terre à Vologda. Il avait fait le voyage de Kholmogory à cette ville moins commodément peut-être que Osip Gregorievitch ; il ne l’avait pas fait plus vite. Osip parcourut les 1,000 verstes du 29 juillet au 27 août, Jenkinson du 15 août au 20 septembre. L’un y avait employé vingt-neuf jours, l’autre trente-six. La proportion fut renversée pour le trajet entre Vologda et Moscou : Jenkinson attendit à Vologda le commencement de l’hiver, il accomplit le dernier tiers de son voyage en traîneau ; Osip dut recourir à la telega. Du 1er au 6 décembre 1557, Jenkinson glissa de Vologda à Commelski, de Commelski à Obnorsk, à Teloytski, à Uri, à Voshansko, à Jaroslav, à Rostov, à Rogarin, à Peroslav, à Domnina, à Godoroki, à Ouchay, à Moscou. Il dévora 500 verstes et 14 postes en moins de six jours. La charrette embourbée d’Osip avait, au mois de septembre, tracé sur la même voie son pénible sillon pendant deux longues semaines. Killingworth, en octobre, se vit obligé d’atteler à sa telega dix chevaux de poste.

Ivan IV n’avait pas eu jusqu’alors d’Anglais à son service. Osip Népéi lui amenait de Londres un médecin, M. Standish, et divers personnages qui devaient prendre place dans les rangs de cette précieuse phalange d’artisans et d’officiers étrangers que l’empereur s’appliquait sans relâche à recruter sur tous les marchés de l’Europe. « Ivan Vasilévitch, — nous raconteront bientôt ces observateurs dont aucune déception n’est encore venue refroidir l’enthousiasme, — ne se soucie ni de la chasse au faucon, ni de la chasse à courre, ni de la musique. Tout son plaisir, il le met en deux choses : d’abord servir Dieu, — il est très dévot, — puis vaincre et subjuguer ses ennemis. Il dépasse ses prédécesseurs en dignité comme il les surpasse en courage. Lithuaniens, Polonais, Suédois, Danois, Livoniens, Criméens, Nogaïs, se sont plus d’une fois conjurés contre lui. Ils ne l’ont pas plus effrayé que les alouettes n’effraient un cheval

  1. Probablement Yam, — station de poste, — village astreint à fournir des moyens de transport aux messagers du tsar.