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ley-Park avait succédé une placidité sereine où tout ce qu’il voyait se reflétait comme sur la surface tranquille d’un lac. Cependant ses forces commençaient à l’abandonner, et je vis qu’il serait incapable de supporter longtemps les fatigues qu’impose la curiosité d’un touriste. Il le sentait du reste lui-même.

— Je descends la colline que l’on ne remonte plus, me dit-il le lendemain ; mais, Dieu merci ! la pente est douce, et au bas j’aperçois mon paisible cimetière anglais.

Nous passâmes plusieurs après-midi en canot à jouir sans fatigue des plus beaux paysages que l’on puisse rêver, ou allongés sur l’herbe dans ces jardins classiques dont les murs tapissés de vignes centenaires semblent exclure le tumulte et les passions du monde extérieur. La troisième après-midi, comme nous nous reposions ainsi, Serle se montra plus expansif que de coutume et donna un libre cours à toutes les fantaisies qui lui vinrent à la tête. Chaque étudiant qui passa lui fournit le sujet d’un roman improvisé, et il se livra à des rapsodies plus ou moins lyriques.

— Ne pourrait-on pas se figurer, me demanda-t-il, que nous avons pénétré au centre même du monde, dans un endroit où les échos du dehors n’arrivent que pour mourir ? Il est bon que de tels refuges existent, façonnés dans l’intérêt de ceux chez qui l’amour des livres crée des besoins factices, à qui il faut un milieu où ils puissent s’abandonner à des rêves éveillés, qui veulent croire sans que personne s’avise de réfuter leurs croyances, qui tiennent à rester convaincus que tout est bien dans ce triste monde. Ils laissent l’univers tranquille, parce que rien autour d’eux n’annonce le moindre trouble. L’univers est parfait, le pays est prospère, la tâche est achevée ! Profitons de nos doux loisirs pour cultiver Horace et Théocrite, pour rêver étendus sur le gazon. Que l’on saisit mieux dans cette calme retraite le sens composite de la vie anglaise ! Quel facteur indispensable on omet en ne tenant pas compte d’Oxford ! Grâce au ciel, ils ont eu la bonne idée de m’envoyer ici autrefois ! On n’a pas fait grand’chose de moi, certes ; mais qu’aurais-je été sans cela ? Quelle influence mystérieuse ces tours grises, ces vieux clochers, exercent sur l’esprit ! Songez aux murs mornes et blancs qui se dressent devant la jeunesse américaine. Elle arrive nue dans un monde nu. Cette absence de toute mise en scène est une dure épreuve pour les imaginations naissantes qui sont obligées de construire à coups de marteau et à grand renfort de clous les châteaux où elles veulent vivre et dont le passé ne leur offre aucune image. Ici, j’ai trouvé une poésie massive toute faite. Voyez cette croisée gothique au meneau brisé. C’est celle de la chambre de mon meilleur ami, mort comme les autres. Chose curieuse, vous lui ressem-