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gré les remontrances de sa famille, épousa un pauvre diable de musicien français. Belle Marguerite, mes complimens ! Ma parole d’honneur, elle ressemble à miss Serle !.. Mais pardon de vous avoir interrompu, mon cousin. Qu’advint-il de tout cela ?

Sir Richard contempla un instant son interlocuteur comme si le bruyant hommage rendu à la coupable lui eût paru déplacé ; puis il dit d’un ton assez sec :

— Il en advint ce qui devait arriver. Il y a un an, j’ai trouvé dans un tas de vieux papiers une lettre de Mme  Marguerite à sa sœur aînée. Elle était datée de Paris et fourmillait de fautes d’orthographe. Une vraie lettre de mendiante ! Madame venait d’accoucher ; abandonnée par son mari, elle se mourait et maudissait le jour où elle avait quitté l’Angleterre. J’ai tout lieu de supposer qu’elle n’a pas reçu les secours qu’elle réclamait si piteusement.

— Voilà ce que c’est que d’épouser un Français ! dit mon compagnon en guise de morale.

Notre hôte garda un instant le silence.

— Heureusement c’est le premier membre de ma famille qui ait agi d’une façon si… peu anglaise, dit-il enfin, et j’espère que ce sera le dernier.

— Miss Serle sait-elle cette lamentable histoire ? demanda mon ami.

— Miss Serle ne sait rien, répliqua sir Richard.

— Elle saura au moins l’histoire de Mme  Marguerite, s’écria mon ami ; il faut que je la lui raconte, si vous voulez bien le permettre ; et sans attendre la permission, il sortit à son tour sur la terrasse.

Sir Richard et moi, nous continuâmes notre promenade à travers les salons.

— Votre cousin est un original des plus amusans, lui dis-je.

— Les Serle de Locksley-Park n’ont jamais eu la prétention d’amuser personne, répliqua-t-il avec raideur.

— Je le crois sans peine, répondis-je en m’inclinant. Du reste, ce cousin-là est non-seulement un original, mais un homme de cœur ; il s’intéresse autant que vous aux annales de votre famille et à votre propriété.

— Cela se voit, dit le propriétaire en ricanant. Il m’a déclaré que les médecins lui donnent peu de temps à vivre, je ne m’en serais pas douté.

— Je me figure que sa santé est meilleure qu’il ne le croit, et puis l’accueil qu’il a reçu ici lui a relevé le moral.

Sir Richard, qui marchait à côté de moi, les sourcils froncés, s’arrêta soudain, fixa sur moi un regard scrutateur et me dit :

— Je suis un honnête homme…

J’allais assurer que j’en étais bien convaincu ; mais il ne me laissa