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— J’aurais été fâchée de ne pas l’apprendre. J’ai vu que vous venez d’Amérique, et c’est pour cela que je me suis permis de vous déranger.

Tout en parlant, elle regardait mon ami, qui se tenait silencieux juste au-dessous du portrait peint par sir Joshua Reynolds. La femme de charge, dont le regard avait suivi celui de sa maîtresse, oubliant les convenances, ne put s’empêcher de s’écrier : — Le ciel nous préserve, miss ! M’est-ce pas le portrait vivant de votre grand-oncle ?

— Je ne me trompe donc pas, dit la châtelaine, nous sommes parens ?

Elle était décidément très timide et semblait gênée d’être obligée de remplir sans soutien son rôle d’hôtesse. Elle devait avoir environ trente ans. De taille moyenne, douée d’une forte santé physique qui, jointe à son âge, jurait avec son air craintif, elle avait des yeux bleus d’une grande douceur, une superbe chevelure d’un blond doré et une bouche un peu large, mais souriante. Sa toilette ne se composait que d’une robe à traîne de satin noir écru. En fait de bijoux, elle ne portait qu’un collier de grosses perles d’ambre. En somme, son aspect n’avait rien d’imposant ; on aurait pu la comparer à une femme mûre ayant gardé sans affectation les allures d’une jeune fille. Serle s’était sans doute imaginé que sa cousine devait être une fière beauté de vingt ans ; il parut soulagé en se trouvant en face d’une dame qui n’était ni jeune ni belle. Sa physionomie s’éclaira soudain, tandis qu’il répondait, avec un salut digne du cavalier auquel il ressemblait tant :

— Nous sommes cousins éloignés, je crois. Je suis heureux de réclamer une parenté que vous daignez vous rappeler, je n’aurais pas osé la revendiquer le premier.

— Peut-être ai-je eu tort de ne pas attendre un peu, répliqua miss Serle en rougissant davantage ; mais j’ai entendu dire qu’il y avait en Amérique des membres de notre famille. J’ai souvent interrogé mon frère là-dessus, sans toutefois apprendre grand’chose. Aujourd’hui, quand j’ai su qu’un Clément Serle parcourait cette demeure comme un étranger, j’ai senti que je devais l’accueillir. Je me suis trouvée embarrassée, je l’avoue, mon frère n’étant pas là. J’ai fait ce que j’ai pensé qu’il aurait fait. Soyez donc le bienvenu, mon cousin. — Et avec un geste à la fois franc et effarouché elle tendit la main.

— Je me sentirais vraiment le bienvenu, dit Serle en serrant la main qu’on lui offrait, si je pouvais espérer que votre frère m’eût accueilli aussi gracieusement.

— Vous avez vu ce qu’il y a à voir, reprit miss Serle, et je compte maintenant que vous me ferez lu plaisir de goûter avec moi.