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COUSIN ET COUSINE.

ce vieux pays, dans ce vieux parc, je sens que je plane sur les vagues limites de ce qui aurait pu être. C’est ici que j’aurais dû naître. Ici ma vulgaire paresse n’eût été qu’un loisir élégant. Pourquoi ne suis-je pas venu plus tôt ? Dieu sait ! Les dettes et la peur du mal de mer ont sans doute servi à me retenir. Enfin un beau jour je me rappelai certaines revendications au sujet d’une propriété anglaise à laquelle divers membres de ma famille ont prétendu avoir des droits. C’est une affaire très compliquée qui remonte à plus de trois quarts de siècle et que je ne me charge pas de vous expliquer, bien que j’aie passé six mois à étudier des paperasses jaunies. Le soir, je ne m’endormais jamais sans être à moitié convaincu que j’allais me réveiller dans un manoir britannique. Enfin, assez récemment, un avocat de New-York qui se rendait à Londres offrit de tâter le terrain. C’est avec lui que vous m’avez vu dîner. Malgré ses manières communes il se vante avec raison d’être un fin limier. Au bout de six semaines il m’écrivit qu’il serait fort surpris « s’il n’y avait pas quelque chose à en tirer. » Poussé par la pauvreté, me voilà en route pour l’Europe. Hier, mon précieux Simmons m’annonce, la bouche pleine, que je ne suis qu’un sot et qu’il faut abandonner tout espoir… Bah ! je suis déjà résigné. Je me doutais, au fond, qu’une dernière illusion viendrait couronner mes illusions passées. J’aimais l’Angleterre avant de la connaître et l’idée de mourir ici me rend heureux. Seulement, ajouta-t-il en hésitant et en posant la main sur la mienne, il me reste encore un souhait à former. Mes heures sont comptées, je le sais, et je voudrais que vous pussiez être avec moi jusqu’à la fin.

— À la condition que vous renoncerez à ce ton sépulcral, répondis-je. La fin ! c’est peut-être le commencement.

Il secoua tristement la tête.

— Je suis incurablement malade, dit-il.

— Je soupçonne que votre mal est plutôt moral que physique. Ce que vous venez de me raconter me prouve que vous avez trop vécu en vous-même. Changez de système. Promenez votre esprit au dehors.

— Lorsque vous trouverez un pendu, ne coupez pas la corde, répliqua-t-il en fixant sur moi son regard indécis et avec un faible sourire. Ceux qui se pendent ont leurs raisons. Je suis ruiné.

— La santé, c’est l’argent. La santé revenue, tout ira bien. Je m’intéresse à votre affaire d’héritage. A-t-on jamais fixé un chiffre ?

— Simmons parlait de quatre-vingt-cinq mille dollars. Pourquoi quatre-vingt-cinq mille dollars ? Je n’en sais rien. Cette somme, du reste, est insignifiante, comparée à la valeur entière de la propriété dont il s’agit.

— Encore une question, — quel est le propriétaire actuel ?