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de l’action de la cause finale première par une tout autre méthode que l’induction purement psychologique, Kant avait déjà démontré, avec cette profondeur d’analyse qui lui est propre, l’insuffisance de l’argument téléologique, comme on dit dans l’école, à prouver l’existence et les attributs de Dieu, et comment la preuve des causes finales ne nous permet de conclure qu’à une cause relative et indéterminée, nous laissant dans une complète ignorance sur la nature de cette cause. M. Cousin lui-même l’avoue dans ses leçons sur la philosophie de Kant : « Nous ne craignons pas la critique pour le principe des causes finales, mais nous croyons avec Kant qu’il ne faut pas en exagérer la portée… Si nous ne sortons pas de l’argument des causes finales, cette grandeur de l’ouvrier que nous concevons proportionné à ses œuvres n’a rien de bien déterminé, et l’expérience ne nous donnera jamais l’idée de la toute-puissance, de la parfaite sagesse, de l’unité absolue de l’auteur suprême. »

Bossuet n’a pas montré qu’il avait le sentiment de la difficulté quand il a dit : Tout ordre, c’est-à-dire toute proportion entre les moyens et les buts, suppose une cause intelligente. Que l’ordre de la nature, ainsi que le fait observer M. Janet, que la finalité du monde suppose une cause, c’est ce qui peut être accordé ; mais ce principe est-il nécessairement un entendement, une volonté, une réflexion libre et capable de choix ? C’est là une autre question. La conscience l’affirme, nous le savons ; mais la conscience a-t-elle le droit d’affirmer autre chose que ses propres phénomènes ? a-t-elle le pouvoir d’imposer ses révélations intimes à la philosophie, qui spécule sur les causes premières ? La métaphysique n’a-t-elle autre chose à faire que de répéter mot pour mot ses enseignemens sur la nature humaine, avec l’unique réserve d’élever à la hauteur de l’idéal et de l’absolu, dans la nature de la Cause finale suprême, les facultés et les attributs que la psychologie constate dans la nature humaine ? Voilà ce que l’esprit méthodique et sagace de M. Janet ne peut admettre sans examen. L’autorité d’une pareille méthode ne lui parait pas incontestable, et la vérité de la solution à laquelle elle aboutit ne lui semble pas tellement évidente qu’on puisse dédaigner d’autres méthodes et d’autres solutions. Il se demande donc si la finalité qu’on aperçoit dans la nature, est bien une loi de la nature elle-même ou une simple loi de notre esprit, si en outre la cause de cette finalité, en la supposant réelle, est nécessairement antérieure et extérieure à la nature, et si enfin il ne serait pas de l’essence de la nature de chercher spontanément la finalité. En un mot, la finalité est-elle objective ou purement subjective, comme le soutenait Kant ? La cause finale est-elle transcendante, c’est-à-dire hors de la nature, selon l’opinion de Socrate,