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est naturelle et même nécessaire. S’il y a des buts dans la nature, c’est qu’il y a un plan, un dessein, une pensée dans l’ordre des choses naturelles. Et comment peut-il y avoir un plan, un dessein sans une cause intelligente qui l’ait conçu et exécuté ? Oui, sans doute, le sens commun, le simple bon sens, si l’on veut, raisonne ainsi : Voltaire ne conclut pas autrement avec sa comparaison de l’horloge et de l’horloger. Seulement on supprime ainsi d’avance une grave difficulté de méthode. On confond deux opérations logiques très distinctes : conclure de la finalité des œuvres de l’industrie à la finalité de la nature, en vertu de la frappante analogie qui les rapproche ; conclure de cette finalité à l’existence d’une cause finale semblable à celles qui président à la création des œuvres de l’industrie. On ne peut douter de l’intelligence, de la volonté, de l’intention consciente des causes finales dans les œuvres humaines, parce que la conscience nous révèle tous ces caractères dans la cause finale qui est notre propre personne, et que l’induction qui nous les fait attribuer à nos semblables ne souffre aucun doute. Ici, pas même de problème. Où le problème commence, c’est quand il s’agit de conclure, non plus des effets aux effets, mais des causes aux causes. Qu’il y ait des fins dans la nature, que le monde entier soit un tout intelligible, grâce à l’ordre, à l’harmonie résultant du concours des causes finales qui le remplissent et l’animent, cela n’est pas contesté par les grandes écoles de philosophie. Oui commence le doute et l’objection, c’est lorsqu’il s’agit d’assimiler aux causes finales des œuvres humaines, sinon les causes finales secondaires, du moins la cause finale suprême qui les embrasse toutes dans son. universelle activité.

M, Janet a l’esprit trop exact, trop rigoureux, pour se faire illusion à cet égard. « La finalité est une des propriétés de la nature : voilà ce qui résulte de l’analyse ; mais comment cette analyse nous ferait-elle sortir de la nature ? Comment nous ferait-elle passer des faits à la cause ? La force de notre argument consiste précisément en ce que nous ne changeons pas de genre ; mais que dans un seul et même genre, à savoir la nature, nous poursuivons le même fait ou la même propriété sous des formes différentes. Si au contraire, au lieu de suivre la même filière, soit en la montant, soit en la descendant, nous passons subitement de la nature à sa cause, et si nous disons : il y a dans la nature tel être, lui-même membre et partie du tout, qui agit d’une certaine manière, donc la cause première de ce tout a dû agir de la même manière, il n’est pas douteux que nous ne fassions là un raisonnement bien hardi et bien téméraire, qui, en tout cas, n’est pas contenu dans le précédent. » M. Janet n’est pas le premier qui ait vu la difficulté. Sans parler d’Aristote et de Leibniz » qui ont résolu le problème de la nature et