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matérialisme et du spiritualisme à outrance, on pourrait prendre nos paroles de paix et d’alliance pour de paradoxales illusions. Néanmoins il est facile de juger combien le contact de l’esprit scientifique et de l’esprit philosophique a modifié les tendances des deux directions. On nous permettra donc d’espérer que le dernier mot de la pensée contemporaine n’est pas dans les protestations et les déclamations des écoles exclusives, et de chercher les signes de ralliement dans ces études sérieuses et fécondes, riches de faits et d’analyses, qui font moins de bruit que de lumière dans le monde des esprits libres de préventions et de préjugés.

Pour peu que l’on connaisse l’histoire de la philosophie et celle des sciences, on est frappé du contraste que présente le spectacle du développement et du progrès de l’esprit humain dans ces deux sphères de son activité. Tandis que la science, simple dans ses procédés tout d’abord et pauvre dans ses résultats, va se divisant et se subdivisant en questions de plus en plus spéciales, s’étend et se ramifie en variétés de plus en plus nombreuses et plus riches, la philosophie ne se développe guère que par le renouvellement de ses formules et de ses argumens, gardant invariablement ses problèmes et ses conclusions générales. Pendant que la science compte ses progrès par ses découvertes et ses inventions, la philosophie mesure les siens au degré de rigueur, de précision, de clarté des formes sous lesquelles se posent et se résolvent les mêmes problèmes. Quelle merveilleuse histoire que celle des sciences, si on la suit depuis les premiers savans grecs, physiciens, géomètres, astronomes, naturalistes, jusqu’aux savans de nos jours ! Combien de sciences nouvelles créées, et dans chacune quel trésor de vérités successivement acquises et précieusement conservées ! Dans la première époque de la science grecque, on compte déjà des savans comme Thalès, Pythagore, Démocrite, Euclide, Philolaüs, Empédocle, Hippocrate, qui trouvent et recueillent les élémens de la géométrie, de l’astronomie, de la physique, de la physiologie, de l’histoire naturelle. Vient ensuite le génie encyclopédique par excellence de l’antiquité, Aristote, qui crée réellement la plupart de ces sciences en en définissant l’objet, la méthode et le programme. Après une éclipse dans la nuit du moyen âge, l’esprit scientifique reparaît avec l’âge moderne et se manifeste par d’éclatans résultats. La science de l’antiquité n’avait eu pour instrument de découverte que l’observation fortuite. La science moderne eut à son service, outre cette observation superficielle et bornée, l’observation aidée du télescope et du microscope, l’expérimentation, l’induction, l’analyse algébrique, la dissection, la vivisection et toutes ces ingénieuses et délicates méthodes que nos savans inventent chaque jour. Aussi quelle transformation de la science avec de