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bornes : il semblait que tout souvenir de ses services fût sur le point de s’effacer. Le président en fut vivement affecté : sa santé s’en altéra, et, pendant une indisposition qui le confina dans la chambre pour quelques jours, il prit une résolution définitive. Sous prétexte de s’entretenir de la situation des états du sud, il fit venir un homme de couleur fort intelligent, M. Haralson, représentant de l’Alabama. M. Haralson était l’un des dix-huit représentans qui avaient voté contre la motion de M. Springer, et il se montrait ouvertement favorable à la réélection du président. Quelle ne fut pas sa surprise de voir le général Grant amener la conversation sur la prochaine élection, et parler de M. Conkling, sénateur de New-York, comme du meilleur successeur que le parti républicain pût lui donner. M. Conkling, disait le général Grant, avait une réputation d’intégrité au-dessus de toute atteinte ; il avait de grands talens et il avait montré au parti une fidélité à toute épreuve : on ne l’avait vu faillir ou même hésiter en aucune occasion. Répondant à une question précise de M. Haralson avec une égale précision, le général Grant déclara catégoriquement que le parti républicain devait prendre M. Conkling pour candidat à la présidence.

On n’a point de tels entretiens pour qu’ils soient tenus secrets : il suffit à M. Haralson de raconter confidentiellement cette conversation à deux ou trois journalistes pour qu’on sût immédiatement d’un bout de l’Union à l’autre que le président ne songeait plus à une réélection. On eut, quelques jours après, la confirmation officielle de la détermination du général Grant. La chambre des représentans, dans une intention transparente, avait voté la réduction à 25,000 dollars, à partir de 1877, du traitement du président, qui avait été porté à 50,000 en 1871. Le sénat ayant accepté ce bill, le président le frappa de son veto dans les vingt-quatre heures. En le retournant au congrès, le président invoquait le sentiment de dignité qui ne lui permettait pas de sanctionner une atteinte à la première magistrature du pays, et il rappelait avec une sanglante amertume les votes successifs par lesquels les représentans avaient transformé l’indemnité de route qui leur était accordée en un traitement considérable ; mais toute l’importance du message était dans la phrase par laquelle le président se déclarait « personnellement désintéressé dans la question. »

Ainsi, le président se reconnaissait vaincu. En se retirant de la lice électorale, il acceptait la condamnation que l’opinion publique et le congrès avaient portée contre son administration.


CUCHEVAL-CLARIGNY.