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ouvrages de Varron et de Columelle, et aux Géorgiques de Virgile, c’est l’exposé des opérations agricoles alors en usage, le résumé de ce que savaient faire les cultivateurs du temps ; mais il n’y a en tout cela rien de scientifique, rien qui eût besoin d’être enseigné par des maîtres spéciaux, dans des écoles professionnelles. Ce caractère scientifique, entrevu par Bernard de Palissy, apparaît vraiment pour la première fois dans l’œuvre d’Olivier de Serres. Comparez son Théâtre de l’Agriculture et Mesnage des champs aux livres des Romains, quelle différence ! Comme on sent déjà poindre les temps nouveaux et cet esprit moderne de recherche et d’invention qui va s’emparer du monde et le transformer ! Voyez cet agriculteur, confiné dans ses terres du Bas-Vivarais, de quels regards diligens et curieux il suit toute innovation ! « Il explique le premier les avantages et les travaux de la production de la soie ; le premier, il donne en détail l’histoire de la pomme de terre, assez récemment importée d’Amérique ; le houblon, la betterave, le maïs, plantes qui n’étaient guère moins nouvelles, ne lui sont pas inconnus[1]. » L’agriculture, avec Olivier de Serres, prenait l’allure d’une science, et dès lors elle pouvait donner lieu à un enseignement. Le progrès des lumières, l’activité plus ample et plus variée des esprits, les relations plus étendues des nations entre elles, les grandes découvertes au-delà des mers qui mettaient les Européens en présence d’animaux et de végétaux inconnus, tout concourait à élargir les horizons de l’agronome. En même temps Henri IV et Sully encourageaient le travail des champs. Aussi quelques hommes, devançant leurs contemporains, comprirent alors l’utilité d’un enseignement agronomique. Les premiers essais, paraît-il, datent de cette époque : un président du parlement de Bourgogne fonda au collège Godran, à Dijon, la première chaire d’agriculture que nous connaissions. Mais ce ne pouvaient être que des tentatives isolées. L’état de la société en rendait le succès impossible ; en effet, à qui se fût adressé cet enseignement ? aux fils des propriétaires ? Mais ces propriétaires étaient ou des seigneurs qui vivaient loin de leurs terres et ne songeaient guère à les améliorer, occupés du soin de leur ambition et de leurs plaisirs, ou des hobereaux souvent aussi dénués de ressources que leurs paysans, non moins attachés à la routine, et, dans un temps de communications difficiles, où il n’y avait pas de journaux, demeurant étrangers au mouvement scientifique des villes. Quant au paysan, métayer ou serf, sa condition était trop misérable, son esprit trop fermé, il était trop étroitement rivé à la glèbe

  1. Jacques Demogeot, Tableau de la littérature française au dix-septième siècle avant Corneille et Descartes, chapitre Ier, Olivier de Serres.