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il n’avait pas de ces violences de représailles, quoiqu’il fît une allusion maligne à la retraite de Cavour au mois de juillet, « moyen certes commode de se tirer d’embarras, disait-il, mais peu fait pour dénouer les difficultés. » De toute façon, il en disait assez pour laisser voir une hostilité implacable et pour obliger le président du conseil à relever tous ces défis d’opposition, à rétablir l’honneur et le caractère de sa politique devant le parlement italien, réuni pour la première fois à Turin.

C’était, à vrai dire, une lutte inégale où Cavour avait pour lui, avec la force des choses, la supériorité d’un esprit aussi habile à embrasser une situation que redoutable pour ses adversaires. On parlait de Clarendon : « Que M. Guerrazzi me permette de lui faire observer, répliquait-il avec fierté, que si le comte de Clarendon, pour défendre sa conduite si violemment accusée, eût pu montrer plusieurs millions d’Anglais délivrés par lui de la domination étrangère, plusieurs comtés ajoutés aux possessions de son maître, peut-être le parlement n’eût pas été aussi impitoyable, peut-être Charles II n’eût pas été aussi ingrat envers le plus fidèle de ses serviteurs. Puisque le député Guerrazzi me donnait une leçon d’histoire, il devait la donner complète. Après avoir dit ce qu’a fait lord Clarendon, il aurait dû dire quels ont été ses adversaires, ses accusateurs, ceux qui se sont partagé ses dépouilles. Il aurait dû dire que ses adversaires formaient cette coterie fameuse d’hommes que ne reliait aucun antécédent, aucune communauté de principes, aucune idée, et que dominait seul le plus impudent égoïsme ; de ces hommes sortis de tous les partis, professant toutes les opinions, puritains, presbytériens, épiscopaux et papistes tour à tour, républicains un jour, royalistes exaltés le lendemain, démagogues dans la rue, courtisans au palais, tribuns dans le parlement, fauteurs de réactions dans les conseils du prince ; de ces hommes enfin dont la réunion forma le ministère que l’histoire a stigmatisé du nom de cabale.., Cela dit, ajoutait-il, je laisse à la chambre, au pays, le soin d’apprécier ce qu’on peut en conclure pour le cas présent… » Et l’assemblée électrisée saluait au passage cette foudroyante apostrophe, dont aucun trait ne lui échappait.

Non sûrement, Cavour n’avait ni vendu des villes comme le disait le sarcastique Guerrazzi, ni dévié du programme national comme semblait le lui reprocher Rattazzi ; il avait tout simplement accompli un acte qu’il croyait nécessaire, que tout dans l’état de l’Italie et de l’Europe concourait à lui imposer. La vraie raison de la cession de la Savoie, il l’avouait sans subterfuge, avec le sentiment supérieur des circonstances, devant l’assemblée : « c’est que le traité est une partie intégrante de notre politique, une conséquence logique, inévitable de la politique passée, une nécessité absolue pour la