Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/417

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inévitables, Cavour les avait sûrement aussi prévues. Il n’ignorait pas que la renonciation à deux anciennes provinces pouvait provoquer dans le vieux Piémont et même dans d’autres régions de l’Italie une certaine émotion. Il savait dans tous les cas qu’elle deviendrait un prétexte pour les partis hostiles, pour les agitateurs mazziniens, pour les oppositions de toute sorte intéressées à se faire une arme de tout. Si la Savoie eût été seule en jeu, peut-être la question aurait-elle soulevé moins de passions ; mais Nice ne cessait d’être revendiquée par le parti italien, tout au moins par la fraction la plus exaltée du parti, et, par une fatalité de plus, Nice se trouvait être la patrie d’un chef populaire, de Garibaldi, chez qui l’abandon de sa ville natale allait provoquer un ressentiment profond, amer, contre celui qui, selon son langage, le « faisait étranger dans sa patrie. » Pour les Italiens, Cavour aurait livré un fragment de la terre nationale ; pour les Piémontais de vieille tradition, il aurait sacrifié la partie la plus vigoureuse et la plus solide de l’état ; pour tous, il aurait payé d’un prix démesuré, d’une concession presque humiliante, une alliance équivoque ! Cavour savait à quoi il s’exposait ; mais il ne s’était arrêté ni devant les difficultés intérieures, ni devant les difficultés diplomatiques. Il avait tout mûri et tout accepté, prêt à porter devant le parlement la responsabilité d’un acte où il voyait un gage de politique nationale, — et d’abord la condition première de la réunion des provinces de l’Italie centrale.


IV

C’est au 20 janvier 1860 que Cavour avait repris le pouvoir, et, à dater de ce moment, il se mettait à l’œuvre, poursuivant d’un côté l’annexion de l’Italie centrale, de l’autre les négociations avec Londres ou avec Paris, se servant de l’Angleterre en dépit de sa mauvaise humeur, désintéressant la France par la cession de la Savoie, et triomphant des dernières résistances de Napoléon III par un plébiscite dans la Toscane et dans l’Emilie. Désormais tout se hâtait. Le 11 mars, le vote avait lieu dans les provinces du centre ; le 18, un décret consacrait le résultat en prononçant l’annexion définitive ; le 24, le traité de cession de la Savoie recevait le sceau diplomatique ; le 25 mars, le scrutin s’ouvrait pour des élections législatives dans toutes les provinces du nouveau royaume, de sorte que c’était, non plus devant le parlement piémontais, mais devant le premier parlement italien, qu’allait être portée la question qui résumait pour le moment la politique de Cavour. Le chef du cabinet ne savait pas si bien dire lorsqu’au mois d’avril 1859, quittant une séance parlementaire où l’on venait de voter la loi des pleins pouvoirs à la veille de la guerre, il s’écriait : « Je sors de la dernière