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Benedetti a écrit : « En 1860, j’ai soudainement reçu l’ordre de me rendre à Turin pour hâter la réunion à la France de la Savoie et de Nice, — réunion qui rencontrait des obstacles inattendus… Parti de Paris le 20 mars, je signai le 24 le traité de cession. » Je ne veux pas diminuer le mérite de nos diplomates. Le fait est que pour cette fois ils n’avaient rien à conquérir, par cette raison bien simple que la question était tranchée d’avance, et Cavour n’avait été nullement pris au dépourvu, lorsque bien avant l’arrivée de M. Benedetti, M. de Talleyrand avait eu la mission d’aller parler officiellement de la Savoie. C’était à Milan, pendant les fêtes de l’hiver de 1860, dans cette lune de miel de l’indépendance. M. le baron de Talleyrand recevait de Paris une dépêche qui le chargeait d’annoncer à Cavour tout à la fois les désirs du gouvernement impérial au sujet de la Savoie et le rappel de l’armée française de Lombardie. Cette double communication signifiait à peu près ceci : Vous allez annexer la Toscane, vous en courez les risques, vous en prenez la responsabilité, nous dégageons la nôtre en rappelant notre armée de Lombardie. Nous ne vous conseillons pas cette annexion, mais comme après tout nous la tenons pour faite, nous vous demandons le prix qui nous est dû. — Cavour ne s’y trompait pas, il n’était surpris que du brusque rappel de l’armée, et il répondait en souriant : « Si les Anglais avaient occupé Gênes dans les mêmes conditions que vous occupez Milan, croyez-vous qu’ils se fussent hâtés comme vous d’abandonner l’Italie ? Enfin, tout est pour le mieux ; nous accepterons cette décision de l’empereur avec plus de plaisir que la seconde partie de votre dépêche. L’empereur tient donc beaucoup à la Savoie et à cette malheureuse ville de Nice ! »

Que le premier ministre du roi Victor-Emmanuel se fût bien dispensé de céder la Savoie, et encore plus la malheureuse ville de Nice, » qu’il ne se crût pas obligé d’aller au-devant du sacrifice, qu’il opposât même dans les détails d’une négociation quelques-unes de ces résistances qui sont pour l’honneur des armes diplomatiques, — eh ! sans doute. S’il avait pu tout garder et ne rien donner, il l’aurait fait. Si après avoir échappé à la nécessité une première fois au lendemain de Villafranca, il avait pu l’éluder encore, il n’y aurait pas manqué ! Il n’avait pas pris son parti sans chagrin, il l’avait pris un peu comme le roi, disant avec finesse, avec un secret serrement, « qu’après avoir donné la fille on pouvait donner le berceau. » Un des témoins les plus assidus de ses délibérations intimes, M. Artom, a raconté que « cet acte fut le seul de sa vie politique où il n’apporta pas cette sorte de sérénité héroïque qu’il déployait dans les situations les plus graves. » Bien que depuis dix ans il eût plus d’une fois trouvé la Savoie hostile à sa politique, il aimait ce pays, qui était pour lui comme une patrie, qui avait donné