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recensement électoral dans les provinces nouvelles : il mettait au-dessus de tout la nécessité d’associer le pays aux résolutions qu’on pouvait avoir encore à prendre. Il y voyait un droit pour le pays, il y trouvait pour lui une force et une garantie. Il savait bien au besoin prendre toutes les responsabilités, il ne voulait pas à un moment si décisif séparer plus longtemps la révolution nationale qui s’accomplissait des institutions libres. Ce qu’il voulait encore et surtout, c’était décider sans plus de retard l’annexion des provinces de l’Italie centrale. Qu’il y eût à compter avec Paris, que l’empereur, redevenu assez impénétrable après ses récens coups de théâtre, ne fût pas à bout de combinaisons, de conditions et de réserves, le chef du cabinet piémontais connaissait l’homme, il savait lire dans sa pensée et traiter avec lui. « Nous devons, disait-il à un confident, user avec la France et l’Angleterre de tous les ménagemens compatibles avec notre dignité et avec le succès définitif de nos vœux… Je ne m’attends pas que l’empereur se prononce en notre faveur sur l’annexion., Je crois même qu’il ne voudra pas le faire, et vraiment ses engagemens de Villafranca ne le lui rendent pas possible ; mais je crois nécessaire de m’assurer qu’il ne nous fera pas une opposition trop décidée. Nous devons l’étudier, tenter son esprit, observer l’attitude qu’il prendra à notre égard, à chaque pas que nous ferons… Dans tous les cas, j’entends admettre les députés de l’Italie centrale au parlement. » Au fond, Cavour comptait sur le respect à demi superstitieux, plus ou moins sincère, de Napoléon III pour le droit populaire, pour la volonté nationale. Et puis il avait en réserve un autre moyen auprès de l’empereur, — la Savoie, dont on n’avait plus parlé depuis Villafranca, qui redevenait un élément décisif de négociation dans l’intérêt italien. Le mérite de Cavour était de voir une nécessité et de l’accepter sans hésitation, de saisir d’un coup d’œil la connexité des affaires de l’Italie centrale et de la cession de la Savoie. « Le nœud de la question, écrivait-il au comte Pepoli, me paraît être, non plus dans la Romagne et en Toscane, mais en Savoie. Bien que je n’aie reçu de Paris aucune communication sur ce point,… j’ai vu que nous faisions fausse route et j’ai pris une autre direction. » En réalité, cette pensée du sacrifice de la Savoie, Cavour la portait au pouvoir : elle était une partie de son programme, ou ce qu’on allait bientôt appeler « un incident de sa politique. »

Une discussion singulière s’est élevée depuis en France pour savoir qui avait eu la principale part dans cette négociation, de M. le baron de Talleyrand, qui venait de remplacer auprès du roi Victor-Emmanuel le prince de La Tour-d’Auvergne, ou de M. Benedetti, qui était alors directeur politique au ministère des affaires étrangères et qui partait subitement pour Turin comme plénipotentiaire. M.